mercredi 31 mars 2010

HALLUCINATIONS AUDITIVES 2

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Dans son livre MUSICOPHILIA, Oliver Sacks décrit les causes multiples de l’apparition d’hallucinations musicales.

La plus importante semble être liée au vieillissement des sujets atteints, et plus précisément à une réduction importante de l’audition associée à un besoin du cerveau de compenser cette perte par une activité sonore interne. Nombre de ces sujets ont eu auparavant une activité musicale (des compositeurs, des concertistes…) ou ont simplement été de grands amateurs de musique.

Sacks souligne en outre que chez certains patients, les musiques entendues lors de ses hallucinations sont des grandes œuvres souvent écoutées par eux dans leur jeunesse; dans d'autre cas par contre, ce sont des fanfares, des chants populaires, ou même des contines.

L'auteur soupçonne que cette pathologie est en plein essor du fait de l’omniprésence dans notre société de sollicitations musicales, de l’accès toujours facilité à la musique, et enfin du développement des « baladeurs ».

Or, non seulement je sais que mon cerveau se détériore de manière significative mais j’ai la nette impression que c'est le cas aussi de mon audition (voir l’anecdote du 30.03). Du fait de mon goût immodéré pour la musique et de mon usage assez fréquent de « baladeurs » depuis plus de 30 ans, je serais donc un candidat idéal à l’hallucination musicale.
En plus, j'ai déjà été sujet à un équivalent proche de l’hallucination musicale. En effet, depuis plusieurs années, lorsque je suis cloué au lit avec de la fièvre, mon esprit invoque systématiquement un motif musical et le répète inlassablement dans ma tête, jusqu’à ne plus arriver à s’en débarrasser.
Cependant, il ne s’agit pas d’hallucinations, car je n’ai aucun doute que ces fragments de musique sont le produit de mon esprit. A aucun moment, je n'ai la sensation qu'il sont émis par une source extérieure.

Par contre je pense que mon cerveau, face à un inconfort et une détresse importante, a recours à un souvenir musical agréable ou familier et m’en inonde l’esprit de manière chaotique, dans l’espoir de m’apporter du réconfort. Une explication similaire est formulée par Sacks comme un déclencheur possible des crises d'hallucinations.
J’ai d’ailleurs tenté, lors des derniers accès de fièvres et de nausées, de substituer à ce souvenir musical obsédant celui visuel d’un lieu paisible, et ça a marché.
Mais voilà : peut-être un jour cela se manifestera-t-il avec plus de force et je ne saurai pas m’en débarrasser aussi facilement.

J’espère au moins que la musique qui me monopolisera alors sera au moins PSYCHO de Bernard Herrmann. Ou SEA HAWK de Erich Korngold. Ou encore FURY de John Williams.

Et non "La Danse des Canards".

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Genève. Décembre 2007.

mardi 30 mars 2010

HALLUCINATIONS AUDITIVES 1

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Depuis quelques semaines, je lis (très lentement) MUSICOPHILIA de Oliver Sachs, un ouvrage consacré à des pathologies liées à la musique. Un des chapitres concerne les hallucinations musicales.
Et je dois avouer que je suis assez inquiet que je puisse un jour en être victime.

Celles-ci sont définies par Sachs comme des manifestations musicales spontanées et persistantes que seule la victime des hallucinations entend. Il précise que certaines victimes les entendent pendant des longues périodes, parfois en permanence et parfois encore seulement quand ces personnes sont seules, n’ont pas d’activités particulières au moment des crises et… n’écoutent pas une musique extérieure.

C’est sans doute sans rapport directe, mais depuis plusieurs jours, j’entends un sifflement continu quand je suis chez moi.
Ce soir, en arrivant, ce sifflement était vraiment très intense. J’ai d’abord pensé que c’était mon frigo, mais une inspection de celui-ci n’a pas donné de réponse satisfaisante.
Puis je me suis concentré sur ma télévision très vieille et j’ai vraiment cru avoir trouvé la réponse, car en collant l’oreille contre le poste, le sifflement s’est fait plus fort.
Mais l’appareil était éteint: ça n’avait pas de sens.
Pour être vraiment sûr, je l’ai débranché, et le sifflement a persisté. Ce n’était pas la télévision, et mon inquiétude est montée d’un cran.
Je me suis déplacé dans plusieurs points de la pièce, un grand salon-cuisine, et le sifflement variait selon les endroits.
J’ai retesté le frigo, collant mon oreille contre une de ses parois, et comme avec la télévision, le sifflement était plus intense.
Je me suis ensuite couvert les oreilles: je ne l’entendais plus.
Je n’étais donc pas victime d’une hallucination, car sinon, ça aurait persisté sans aucune variation.
Ou alors mon cerveau a été plus malin que moi, et a compris qu’au moment où je couvrais mes oreilles, il devait cesser d’envoyer ce signal parasite à… mon vrai moi.

Je ne suis pas victime d’une hallucination, mais paranoïaque et sujet au délire. Rien de nouveau: me voilà rassuré.
J’ai obtenu un résultat intéressant en couvrant une oreille, puis l’autre: ça sifflait dans la droite et pas dans la gauche.
J’ai cru que j’avais enfin trouvé une réponse significative à mon trouble lorsque je me suis rendu compte, en restant un moment dans une autre pièce, que je n’entendais plus rien de suspect, mais je suis ensuite retourné dans le salon, et là aussi, le sifflement avait complètement disparu.

(EDIT du 1.4.10)
Par la suite, j'ai constaté que le sifflement persistait, et j'ai à présent la nette impression que celui-ci vient du frigo, mais la qualité de ma perception fait que je n'arrive pas à situer spatialement l'origine du son.

Ça reste très présent et indéfinissable à la fois.

Je vois en tout cas un nouveau frigo dans mon avenir!

(EDIT du 6.03.11)

Rassurez-vous: ça fait depuis fin avril au moins que je n'ai plus entendu ce sifflement. J'ai même fini par trouvé une explication parfaitement rationnelle: c'était... un radiateur.
En effet, le "robinet" d'un radiateur que je sollicite rarement était juste assez ouvert pour émettre ce sifflement continu. Dès le moment où je l'ai resserré d'un cran: plus de sifflement.

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samedi 13 mars 2010

Voler 2.

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Voler en tandem, c’est facile, mais voler en solo, c’est plus beau… et plus difficile.

Pendant plusieurs semaines, j’ai donc appris avec un moniteur et en compagnie de trois autres élèves à porter un deltaplane en équilibre, puis à marcher avec, puis à courir avec sur des courtes distances.
Le moniteur nous à ensuite fait grimper d’une dizaine de mètres sur une colline à pente douce, et nous devions tenter de la dévaler, harnachés à notre aile, sans que celle-ci ne tangue jamais à droite ou à gauche.
Puis il nous a fait grimper un peu plus haut et sur une pente un peu plus raide, jusqu’à ce que finalement, il nous juge prêt pour notre premier vol en solo, et là nous avons grimpé jusqu'au sommet de la colline.
Encore aujourd’hui, je me demande comment j’ai physiquement tenu le coup à porter inlassablement l’aile sur cette pente herbeuse, pour ensuite la dévaler avec à chaque fois plus de force, dans l’espoir de décoller enfin.
Mais il y a eu cette première fois où j’ai quitté le plancher des vaches tout seul.

Ça n’a pas dû être bien glorieux, un vol de 10 ou 20 secondes à ras les touffes, mais du coup les tentatives suivantes ont été faites avec un entrain nouveau, et des succès graduellement plus impressionnants.
Les décollages ne me posaient finalement pas un gros problème : je n’ai jamais trébuché, ne me suis jamais écrasé sitôt décollé. J’avais surtout de la difficulté à anticiper où j’allais atterrir, et surtout, je finissais invariablement ma course sur le ventre plutôt que debout. Sans doute la tentation de faire durer le vol quelques secondes de plus.
Pendant mes brefs envols, le moniteur tentait de me donner des instructions par gestes et par mégaphone, mais je n’entendais rien. Et tout-à-fait franchement, je n’écoutais pas non plus.
Il avait beau me faire signe de virer, de viser telle zone d’atterrissage, j’étais trop heureux de planer et faire mes propres figures pour lui obéir.
Après chaque atterrissage, je me faisais proprement engueuler, mais même là je ne l’entendais pas ! Je pensais déjà au prochain envol.

Le problème, c’est qu’une fois j’ai un peu trop fait le zouave. En fin de parcours, j’ai perdu la maitrise de l’aile, et j’ai piqué vers le sol. Une grosse trouille, et un dédommagement important au moniteur pour le dégât sur l’aile.
Ca aurait pu être pire.

A la fin d’un des derniers cours, le prof m’a malgré tout proposé de redescendre dans la vallée en tandem avec lui, pendant que les autres prenaient le minibus.
La grosse différence avec le Salève, c’est que là, nous décollions sur une pente assez douce et… ça ne voulait pas décoller.
On courait, on courait, mais on ne s’envolait pas.
J’ai cru qu'on allait abandonner (et j’étais moi-même prêt à le faire) mais le moniteur a dit :

« Allez, on essaye une dernière fois. Courrez, bon sang. »

Et on a décollé, mais pas de beaucoup.
J’allais remettre le pied à terre, quand l'autre a chuchoté :

« Non, non, c’est bon, on y est. »

La pente ne défilait qu’à un ou deux mètres sous l’aile, et ne semblait pas vouloir s’éloigner. Bientôt nous volions à trois mètres, puis à quatre, mais pendant presque tous le trajet, nous avons continuer à suivre la pente. C’était magique.
Ce vol a aussi été le plus long que j’ai jamais effectué : un rêve d’une demi-heure.

Sinon, j’ai aussi effectué au moins un vol en solo à une hauteur d’au moins 30 mètres.
Je n’en revenais pas à quel point le moniteur paraissait petit, et ce coup-là, je ne l’entendais effectivement plus du tout.
A mon retour sur Terre, il m’a dit en blaguant :

« Alors, on a attrapé un courant ascendant ? »

« Hein ? »

« Un courant ascendant. Parfois certains pilotes se font happer dans l’un d’eux, et ils montent, ils montent jusqu’à manquer d’air et finissent par perdre connaissance. »

Il nous a alors annoncé que ce serait le dernier cours de la saison : nous étions en début décembre et il s’absentait jusqu’en avril.

Et sans autre avertissement, il m'a proposer de faire un premier vol solo au Salève.

Je suis devenu livide. Je n’étais pas prêt du tout.
Je n’avais toujours pas bien maîtrisé les atterrissages, j’aurais été incapable d’atterrir ailleurs que sur l’autoroute ou sur une maison et… peut-être aussi que je gardais la vision de ce courant ascendant auquel je ne saurais résister !
J'ai donc décliné l'offre.

La triste fin de cette histoire est que j’ai eu le temps de ruminer les différents atterrissages ratés et l’aile cassée, et en avril, je n’ai pas repris les cours.

Mais plus de vingt après… l'appel du ciel me démange toujours.
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Le Rhône en Drôme Provençale. Décembre 2007.

jeudi 11 mars 2010

Abandon

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J’ai sept ans. C’est l’été, et à cette époque, les après-midis ensoleillés sont invariablement consacrés à s’ébattre sur une grande plage à l’extérieur de Biarritz, à une vingtaine de kilomètres de notre maison de vacances. Du sable fin et des vagues à perte de vue.

Ce jour-là, j’ai été confié à la garde de ma tante Léontine, et mes cousins Hector et Jules sont mes compagnons de jeu.
Nous terminons de construire des châteaux éphémères mais grandioses quelques mètres à l’écart de notre parasol lorsque ma Tante vient annoncer le départ.
J’ai du sable plein le corps, et je me rue donc vers la mer pour m’en débarrasser.

Que l’eau est fraîche, quel délice !
Couché de tout mon long dans vingt centimètres de bonheur salé, je me mets à rêver à des vacances sans retour, une éternité de châteaux de sable et de bains dans les vagues, ponctuée peut-être par quelques beignets-abricots.
La belle vie !

Mais les rêves n’ont qu’un temps, et je retourne à contrecœur vers le point de ralliement.
Cette rêverie à dû se prolonger quelque peu, car j’ai dépassé l’emplacement de notre parasol et de nos serviettes. Ou alors j’ai dévié de ma course.
Je rebrousse donc chemin, pris d’une légère inquiétude, qui ne cesse de grandir.
Pas de panique !
Notre parasol est bleu et vert, je vais le repérer facilement. Mais je ne vois aucun parasol bleu et vert.
Je cours à présent vers l’endroit où j’imagine que nous étions, et me retrouve bientôt les pieds dans l’eau.
Je ne reconnais plus rien. Je tourne dans toutes les directions, d’abord à la recherche de ce fichu parasol (aucune trace), puis d’un repère familier. Toujours rien.
Même nos châteaux de sable ont mystérieusement fondu, sans nul doute avalés par la marée.

La suite est plus floue: j’ai dû arpenter la plage plusieurs fois dans les deux sens, un coup à gauche puis un autre à droite avant de conclure que j’avais été mystérieusement déporté à une grande distance de mon départ, car je ne reconnais absolument plus rien : aucun individu, aucune des structures qui longent la plage, rien.
Je sais que je me suis finalement résigné à parcourir la plage dans une direction unique, essayant inlassablement de reconstruire les évènements qui ont pu conduire à la disparition totale du parasol, de ma tante et de mes cousins. J’envisage même le pire : j’ai été abandonné!

Et là, c’en est trop pour mon cerveau d’enfant. Il ne me reste qu’une seule ressource, la plus terrible : ouvrir les vannes des pleurs.
Ça a beau être complètement humiliant, c’est la bonne solution.
Un adulte me prend bientôt en pitié, et me conduit vers un surveillant de plage qui lui-même me dirige vers un poste central, où je pleure toujours comme un damné destiné à l’abattoir.
Je ne sais comment, j’ai soudain une énorme glace dans les mains. Je la dévore par grosses lampées, et mes pleurs se calment.

« Tu as perdu ta maman ? » me demande un des messieurs.

« Non, elle est pas là. » (Entre deux reniflements.)

« Ton Papa ? »

« Non, il est pas là. C’est ma Tante Léontine. »

« Tu habites chez ta tante ? »

« Non, chez ma Grand-Mère, Mme Lussac. »

« Ici à Biarritz ? »

« A Saint-Jean-de-Luz .

« Bon, ne t’inquiètes pas, on va les retrouver. »

Là-dessus, un des hommes s’absente, et quand il revient, il m’annonce :

« C’est bon, on l’a eue au téléphone, elle vient te chercher. »

« Vous avez parlé à Grand-Mère ? »

« Non, à ta Tante. »


Elle était rentrée à la maison sans moi.


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Tournage des "Derniers Jours du Monde" des frères Larrieu sur la Grande Plage de Biarritz. Août 2008.

mercredi 10 mars 2010

Voler.

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J’ai toujours été attiré par le ciel.

Les oiseaux, les avions, les ballons à air chaud et les dirigeables, mais aussi  les nuages, le vent, les étoiles.

Dans les années 80, cet intérêt s’est focalisé sur le deltaplane, et l’un des endroits privilégiés de cette pratique sportive dans la région genevoise est le Salève, une petite montagne qui s’élève juste au-delà de la frontière suisse.

Avec Tania, une amie que je fréquentais beaucoup dans cette période, nous avions pris l’habitude d’aller les voir atterrir à la campagne, côté suisse donc. A force de fréquenter ce lieu, l’idée que je puisse moi-même m’essayer au vol en deltaplane parut moins extravagante, et avant d’envisager de prendre des cours, je m’inscrivis pour un baptême de l’air en tandem.

Je me souviendrai toujours de la montée en camionnette jusqu’à l’aire de départ. Celle-ci est tombée en panne à mi-parcours, et tout d’un coup, l’excitation que j’avais ressentie jusque là s’est transformée en appréhension.
La camionnette a pu redémarrer après quelques minutes, mais ma nervosité est restée.
Il y a ensuite eu le montage des ailes, je me suis harnaché, puis fixé à l’aile, j’ai vu partir une aile devant moi, puis le moniteur me dit à mon côté :

« Alors, vous êtes prêt ? Ca va être à nous. »

Non, je n’étais pas prêt, je ne voulais plus y aller, pas aujourd’hui.
L’aire d’envol faisait 3 ou 4 mètres, puis se terminait par un tremplin en bois et ensuite c’était le vide intégrale : nous étions au bord d’une falaise qui tombait à pic.
Le moniteur à soulevé l’aile et a simplement déclaré :

« Allez, on y va »

J’ai esquissé un mouvement pour lui signifier que j’avais changé d’idée, mais déjà il courait, et moi avec, pas le choix, non attendez, je…

Ne sens plus la Terre sous mes pieds, les sangles du harnais me tirent vers le haut, je suis comme dans un télésiège soutenu par un câble, seulement… il n’y a pas de câble.
La peur a complètement disparu. Je vole. Je flotte. Je glisse dans un vide merveilleux. Nous sommes au milieu de nulle part. Il n’y plus ni montagne, ni plaine, ni rien. Juste le vide absolu, l’insouciance totale.

« Ca va ? »

Le moniteur me rappelle à la Réalité et, ce faisant, gâche un peu ce rêve incroyable.

« Vous voulez prendre les commandes ? Tenez, je vous montre. Pour descendre, vous tirez le trapèze vers vous (et on chute d’une dizaine de mètres) et pour remonter, vous poussez. »

Et on remonte.
Il me montre encore quelques manœuvres, et me laisse ensuite les reproduire : c’est enfantin et jouissif.
Mais très rapidement, nous nous retrouvons en approche de la terre ferme, il m’explique qu’il va falloir commencer à courir quelques secondes avant de toucher terre, j’ai de nouveau une petite appréhension, peur de me faire mal, de tomber, mais pas le temps de réfléchir. Encore quelques mètres, je cours sur l’herbe sur 3-4 mètres, nous nous arrêtons : c’est fini.

Je suis à peine essoufflé, pas du tout fatigué et surtout complètement excité par cette expérience de quelques minutes.
J’ai volé.
Et je revolerai, c’est sûr.


Environs de Genève... vus d'un avion. Juillet 2009.

samedi 6 mars 2010

Mémoire fuyante.

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Lorsque j’avais 20-25 ans, je prenais un malin plaisir à mémoriser une multitude d’informations, notamment sur le Cinéma.
Je connaissais la filmographie de tous les acteurs, même les plus secondaires, des metteurs en scène, des producteurs, des directeurs de la photo, des décorateurs, etc…
Puis, arrivé à la trentaine, j’ai remarqué que parfois j’avais du mal à formuler certains titres de films un peu obscurs, ou des personnalités dont on ne parlait pas forcément tous les jours.
Quelques années plus tard, vers 40 ans, je me suis un jour remémoré des films que j’avais beaucoup aimé des années plus tôt, et je me suis rendu compte que j’étais totalement incapable de me rappeler les noms de leurs réalisateurs !
C’était particulièrement inquiétant pour moi, car il ne s’agissait pas là d’informations d’importance secondaire, mais d’éléments qui définissaient mon identité culturelle intime.
Pour information, ces fameux metteurs en scène oubliés étaient John Landis, dont j’avais adoré « The Kentucky Fried Movie », « Animal House », « The American Werewolf in London », et « Into The Night » (tous vus entre 1978 et 1985), et David Lynch pour lequel j’avais conçu une véritable obsession à l’époque de « Twin Peaks » (entre 1989 et 1992).
(Note : Je me suis aidé ici en consultant imdb.com pour les titres et les dates ! ;) )

A partir de cette période, mes oublis ont pris d’autres formes: plusieurs fois, en rentrant chez moi, j'ai été incapable de me rappeler le code de mon immeuble. J'ai fini une fois par tapoter le clavier de manière aléatoire, jusqu’à ce que ma main retrouve le souvenir physique des emplacements.
Depuis cette période, ce code est inscrit dans un agenda qui ne me quitte jamais.

Un jour, en classant des papiers bancaires, j'ai découvert la trace d’un retrait important opéré sur mon compte personnel deux mois plus tôt.
Comme je n’en gardais aucun souvenir, j’ai conclu que je ne l’avais jamais effectué.
Je me suis donc rendu à ma banque pour éclaircir cet incident potentiellement frauduleux et, face à ma détermination, le caissier a produit une copie du retrait, portant ma signature.
Sur le coup, j’ai accusé la Banque d’avoir fabriqué un faux, avant de faire marche arrière, soudain conscient de l’invraisemblance de cette accusation.
Dans les jours qui ont suivi, j'ai continuai à ruminer cette histoire, cherchant à rétablir la probable continuité des évènements qui avaient justifié ce retrait.
J'ai fini par retrouver un reçu postal qui attestait d’un paiement effectué le même jour pour une somme quasi équivalente.
Je n’en gardais toujours aucun souvenir, sinon… vaguement le sentiment d’avoir récemment attendu à la Poste avec une grosse somme en poche.

Un dernier incident déterminent eut lieu à mon magasin : je reçois depuis des années la visite quasi-hebdomadaire d’un ancien employé que je considère presque comme un ami, et un jour je l'ai salué comme à l’accoutumée, sauf… que j’étais incapable de me rappeler son nom. Pour me couvrir, j’ai donc enchainé mon « Salut…. » par «… Charles ? Victor ? Édouard ? Marcel ? Daniel ? Pierre ? Jean… » et j'ai remarqué que son expression à chané lorsque j'ai dit « Marcel ». J'ai donc dès lors su qu’il s’appelait bien Marcel.
Je me suis empressé de lui expliquer que j’étais sujet depuis quelques temps à des trous de mémoires et que je n’étais pas en train de lui monter un canular.
Nous avons continué à bavarder de choses et d’autres pendant un quart d’heure, et pendant tout cet échange, je répétais dans ma tête : « Marcel… Marcel…. Marcel» en associant ce prénom à la personne que j’avais devant moi… et ça ne connectait toujours pas.
Plus tard dans la soirée, j’ai renouvelé mentalement l’exercice, et tout doucement, ça a commencé à revenir.

C’est à partir de ce jour-là que j’ai décidé de m'occuper sérieusement de ce problème.
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Ile Rousseau, Genève. Décembre 2007.

vendredi 5 mars 2010

Phénomène Etrange (2)

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… mais éclaircis.

Hier, je faisais mes courses chez Manor (une chaîne de grandes surfaces helvétique), et alors que je passais devant le rayon poissonnerie, mon regard a été attiré par deux grands spécimens, des brochets de 30 centimètres, couchés sur la glace. Tous deux morts, bien sûr.

Et soudain, j’ai cru que l’un d’eux avait respiré !
C’était impossible, mais je l’aurais juré.
Toujours fasciné par cette brève vision surréaliste, j’ai continué à fixer ces étincelants cadavres, presque convaincu qu’à force de persuasion le coupable bougerait à nouveau.
Au bout d'un moment, je commençais effectivement à le voir frétiller de manière imperceptible.

J’allais m’éloigner quand soudain... il a respiré à nouveau !
Sérieusement secoué, j’ai intercepté un vendeur, qui m’explique, en les tripotant :

« C’est résistant ces bêtes-là… »

Et comme j’en attendais un peu plus de sa part, il a rajouté :

« Comme ça, au moins, on est sûr qu’ils sont frais. »

Et de les palper encore un peu (une substance gélatineuse se répand sur la glace) avant de conclure:

« Oui, bon, ils souffrent un peu. »

Je n’ai rien réussi à acheter à la suite de cet incident.
Je crois même qu’une fois sorti du magasin, je l'ai complètement évacué de mon esprit.
Il a fallu que j'y retourne ce soir pour que je m'en souvienne.

Les brochets n'étaient plus là.
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Versoix. Juillet 2009.

jeudi 4 mars 2010

Phénomène Etrange.

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Cet après–midi, je me rendais comme tous les jours à pied au travail, et à mi-parcours, dans les Rues Basses de Genève (pour ceux qui connaissent), je suis tombé sur une femme qui est un de ces personnages pittoresques que possèdent probablement toutes villes de taille respectable : c’est une femme d'une soixantaine d'années qui est soit schizophrène ou sénile ou atteinte d’un toc, mais toujours est-il qu’elle déballe à voix haute (et portante) des insanités plus ou moins nonsensiques de manière continue, en plus d’être habillée de manière assez remarquable (mais pas réellement extravagante), dans des tons et des couleurs très contrastées et arborant un maquillage très chargé.

Je remarque donc cette femme qui s’éloigne en traversant la Place du Molard en direction de la Rue du Rhône, parallèle aux Rues Basses, mais je ne m’attarde guère car je suis pressé d’arriver au travail.
Je continue donc mon chemin d’un pas rapide, et environ 400 mètres plus loin… je retombe sur cette même femme, qui arrive cette fois face à moi, débouchant du Passage de la Monnaie qui, comme la Place du Molard, communique avec la Rue du Rhône!
Vous aurez peut-être compris à ce stade déjà l’aspect remarquable de cet incident.

Pour faire simple : j’ai parcouru d’un pas rapide et sans jamais m’arrêter ou ralentir une distance d’environ 400 mètres pendant que cette femme faisait elle le tour du pâté d’immeuble, soit une distance estimée de 800 à 1000 mètres !
Je précise que je fais environ 1,80 mètre et elle probablement 1,60 mètre, sinon moins, et qu’il n’y a aucun doute possible qu’il s’agissait de la même femme.

Comment est-ce possible ? C’est simple : ça ne l’est pas, et pourtant, ç'est arrivé cet après-midi.
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Le Restaurant des Halles de L'Île, Genève. Février 2010

La Vieillesse et la Mort.

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Lorsque l’on est enfant, la vieillesse et la mort sont des concepts assez abstraits.
On est trop occupé à grandir et se développer pour se soucier en plus de ces choses-là.

Mon premier souvenir d’un signal clair que je n'étais pas éternel date de mes 22 ou 23 ans.
A l’époque, je courrais souvent pour attraper le bus. Parfois même, celui-ci partait sans moi et je continuais à le poursuivre jusqu’à l’arrêt suivant, par défi.
Et un jour, je me suis rendu compte que c’était un peu plus difficile. Le pas était plus lourd, les muscles réagissaient moins vite, le souffle était plus court.
J’ai malgré tout continué à le faire, pensant que la forme reviendrait, mais ça n’a jamais vraiment été le cas.
Avec le temps, j’ai graduellement abandonné cette pratique : si le bus s’arrêtait 200 mètres devant moi, au mieux je pressais le pas, dans l’espoir de l’attraper quand même ; mais sinon… tant pis.
A présent, je ne prends même plus cette peine : je prévois déjà d'attendre le suivant.

Une expérience plus traumatisante concerne la perte des cheveux.
Vers 25 ou 26 ans, j'ai un jour raconté à un client comment un de mes proches amis avait perdu presque tous ses cheveux à vingt ans.
Celui-ci, un brin fataliste, me répondit :

« Bah, on les perd tous un jour. »

- Oui, ben pas moi, lui rétorquai-je un peu vite.

-Toi ? Mais bien sûr que tu les perds !

- Mais non !

- Mais si !

Et sans autre, il jeta un coup d’œil au sommet de mon crâne et confirma avec un sourire gêné:

- Je t’assure que si ; ça se voit nettement.

Sur le moment, je faillis me fâcher, car ce n’était pas drôle, mais… il ne plaisantait pas.

Je changeai donc rapidement de sujet, et classai la chose jusqu’au soir.
De retour à la maison, j’inspectai mon crâne avec l’aide d’un petit miroir.
Parfaitement visible, entre les mèches , je découvris un espace de plusieurs centimètres , complètement dégarni.

Dans la demi-heure qui suivit, je restai couché dans ma chambre, toutes lumières éteintes, à essayer d’assimiler, et surtout accepter, cette réalité nouvelle : je vieillissais.

« C’est le début de la fin. Je vieillis. Je vais mourir. Bon, je ne suis pas encore mort, mais bientôt. Ce n’est qu’une question de temps. »
Je voyais soudainement les années défiler. Je revoyais mes parents, mes grands-parents : j’allais devenir comme eux, et surtout, j’allais connaître le même sort que certains d’entre eux déjà à cette époque: la Mort.
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St Jean-de-Luz. Juillet 2009.

mercredi 3 mars 2010

La Lecture

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Je ne lis presque plus.
De livres, donc. Et encore moins de romans.
Pour le libraire que je suis (depuis 28 ans) c’est un sérieux handicap.

Jusqu’au mois dernier, je n’avais plus lu de roman depuis quatre ou cinq ans. Et j’ai fait des tentatives multiples, au moins 4 ou 5 par année.
Parfois, j’ai abandonné au bout d’une dizaine de pages, mais le plus souvent dès les toutes premières.
Le phénomène le plus récurrent est que j’entame les premières pages, et au bout de quelques-unes, je m’aperçois que je n’assimile plus le sens de ce que je lis. Ou alors je l’assimile sur le moment, mais je ne me souviens pas des pages précédentes. D'autres fois, je ne parviens pas à visualiser, ou à donner corps à la réalité décrite par l’auteur.
Dans le dernier roman que j’ai lu, jusqu'au bout cette fois-ci, je me suis rendu compte que je n’arrivais souvent pas à différencier les principaux personnages. Leur nom avait beau être répété par l’auteur, rien n’y faisait : j’essayais de les individualiser, l’un marié et indigène au cadre du roman, l’autre célibataire et étranger, mais ça persistait à demeurer flou dans mon esprit.
Si bien que je me suis plusieurs fois résolu à considérer ces deux personnages comme un seul.

Il y a quelque mois, j’avais découvert un article mettant en garde contre les méfaits d’internet : d’après son auteur, internet était en train de créer une génération de « surfeurs » navigant à la surface des sujets, sans réflexion, mais aussi des lecteurs incapables de se concentrer sur un sujet plus de quelques minutes.
Hé bien, devinez quoi ? Je n’ai pas réussi à lire l’article… au-delà du premier paragraphe !
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