vendredi 23 avril 2010

Le ongles des pieds.

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Lundi, j’ai accepté au magasin d’être interviewé par téléphone par une journaliste du quotidien vaudois Le Matin, au sujet de la sortie prochaine du film IRON MAN 2. Elle devait me rappeler chez moi le lendemain matin vers dix heures. Pour être sûr d’être bien présentable, j’ai été jusqu’à me couper les ongles des pieds avant son appel.

Je lui ai raconté comment à 13 ans, j’ai lu ma première aventure de Iron Man, où il combattait un méchant qui projetait des flammes avec ses mains, Firebrand. J’ai compris à l’épisode suivant seulement que Firebrand était en fait le méchant qui défendait les sans abris et les étudiants en révolte, et Iron Man le gentil qui soutenait les industriels et la Guerre au Vietnam!

J’ai eu beaucoup de mal par la suite à ressentir la moindre empathie pour ce salaud impérialiste d’Iron Man !
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Les Courses des Mendiants.


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Hier soir, ayant fini mes courses chez Manor, je me suis tout naturellement dirigé vers la caisse où il y avait le moins de monde.
Au bout de quelques minutes, j’ai remarqué que les caisses à ma droite et à ma gauche étaient évidemment beaucoup plus fluides que la mienne.
Je m’apprêtais à en changer lorsque j’ai pris connaissance de la cause du ralentissement : devant moi, un couple de mendiants que j’avais remarqué depuis des mois en ville faisait ses courses, comme tout le monde.
Enfin, presque comme tout le monde, parce qu’eux, ils payaient en monnaie. Une montagne de monnaie.
Logique.
J’ai ensuite noté que la caissière, une jeune caissière que je n’avais jamais remarquée avant, et je l’aurais remarquée : qu’est-ce qu’elle était belle ! Cette jeune caissière donc, comptait cette monnaie avec une lenteur irréelle, excessivement laborieuse : une pièce de vingt, une pièce de dix, une pièce de vingt… non, de dix. J’allais attendre mon tour toute la soirée.
Mais qu’importe ! Elle était sublime, avec ses gestes lents, presque de ballerine, et son regard qui avait peine à se fixer sur les petites pièces.
Parfois, elle levait brièvement les yeux vers le magasin, comme pour chercher de l’aide.
Et moi, j’avais envie de lui dire :
« Prends ton temps, ma chérie, je ne vais pas te gronder, personne ne le fera. C’est bientôt fini, là, tu vois, plus que dix pièces. Là, c’est bien, ranges-les, sors le ticket, donnes-le à ces braves mendiants et souhaites-leur une  « Bonne soirée ! ». »
J’avais envie de la prendre dans mes bras et la consoler d’une première journée de travail qui n’en finissait plus.
J’avais envie, mais je me suis retenu.
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mardi 20 avril 2010

Objets perdus 2: les lunettes.

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Il y a deux jours, en rentrant chez moi, j’ai rangé mes lunettes de lecture dans leur étui et l’étui dans le sac à dos que je prends dans tous mes déplacements.
Seulement, quelques minutes après, j’en ai eu besoin, et je suis donc retourné les chercher dans mon sac.
Elles n’y étaient plus.
Comme j’étais absolument sûr de les y avoir mises, j’ai bien fouillé le sac jusqu’au fonds, et vérifié la petite poche sur le devant, sans succès.

A ce stade, je me suis dit que je devais me tromper sur mon souvenir, et j’ai vérifié les poches de ma veste, sans résultat.
J’ai été voir devant mon ordinateur, endroit logique pour des lunettes de lectures : rien non plus.
A la salle de bain, peut-être ? J’y serais allé, je les aurais machinalement posées sur le rebord de la baignoire pendant que j’allais aux toilettes ? Évidemment, cette possibilité niaient mon souvenir assez précis de les avoir rangées dans l’étui et l’étui dans le sac…
Donc, elles étaient dans mon sac.

J’y suis donc retourné, et j’ai refouillé mon sac. J’ai sorti chaque objet et je les ai alignés sur une table et les ai touchés un à un pour être totalement rassuré.
Bon, je ne suis pas certain à 100% que j’ai fait ça, mais j’en ai le souvenir très net.
En même temps, c’est totalement impossible vu la finalité de cette histoire.

Je me suis donc finalement résolu à utiliser une paire de réserve pendant les jours qui ont suivi, jusqu’à ce matin, où cherchant autre chose (évidemment !) j’ai finalement retrouvé cette fameuse paire de lunettes.

Dans son étui.
Dans mon sac à dos.
Dans la petite poche de devant.

Pour illustrer, j’ai pris une photo.



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vendredi 16 avril 2010

Bonneteau, bonnes poires.... 2.

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Ces derniers jours, j’ai commencé à entrevoir comment le problème épineux des « joueurs de bonneteau » pouvait être réglé. Comme celui des dealers, d'ailleurs.
Il faut d’abord, comme je l’ai écrit auparavant, reconnaître clairement la nature de ce fléau, et mettre en place une législation adaptée et… l’appliquer.
Ensuite, il faut étudier les stratégies d’action et surtout de fuite de ces escrocs et les contrer.
Ça ne doit pas être bien compliqué : il suffit de les faire surveiller et suivre quelques jours par des équipes en civil et ensuite, sur la base des informations recueillies, établir une stratégie d’action.

On pourrait, sur la base de leur terrain d’action usuel, reproduire plusieurs situations possibles d’interpellation qui permettraient de les attraper tous en une fois. Et une fois attrapé, on les maintiendrait en prévention un certain temps, dans des conditions… pas forcément très sympathiques, avec la promesse faite que s’ils se font prendre une deuxième fois, ses conditions seraient encore moins sympathiques.
J’ai pensé par exemple à un système où l’incarcération préventive se ferait non seulement de manière dispersée (un prévenu dans chaque prison et dans des villes éloignées) mais dans des cellules où ils seraient en compagnies de codétenus ne parlant pas leur langue, quitte à les changer souvent de cellules.
Tout ceci dans le seul but de les dissuader de recommencer, car un argument que j’entends souvent, c’est : « Mais pour eux, la prison, c’est le Paradis. Ils sont nourris et logés ». Il doit y avoir des moyens assez simples pour rendre leur incarcération un peu moins attrayante, sans aller par exemple jusqu’à les forcer à écouter du Chantal Goya 24 heures sur 24.

Mais revenons-en à la problématique de la police qui « ne peut rien faire ».
Comme un de leur terrain de chasse privilégié est un endroit très précis des Rues Basses (l’artère la plus commerçante de Genève), je me suis demandé ce que pouvaient en penser ceux qui étaient directement concerné par ce trafic peu attrayant, les magasins même devant lesquels ils se postaient.

Je suis allé voir le gérant de l’un d’entre eux, une grande enseigne de sport.
Très vite, il m’a servi le discours défaitiste classique : « On ne peut rien faire, on ne peut pas les renvoyer chez eux, l’Espace Schengen,… » et tout ça.
Oui, parce que les joueurs de Bonneteau, c’est la faute à l’Europe, forcément.

« De toutes façons, ces gens-là, ils n’ont rien, alors ils n’ont rien à perdre. Et puis, fondamentalement, ils ne font de mal à personne. Tout le monde les connait. Il faut vraiment être très bête pour se faire avoir à ce jeu-là.

- Mais vous n’avez pas peur que ce voisinage porte préjudice à votre commerce ? Les clients voudront peut-être moins venir ?

- Mais les gens les aiment bien. Ca les amuse de les voir faire.

- Je peux vous assurer que moi, ils ne m’amusent pas du tout. L’autre jour, le meneur a carrément agrippé un passant pour le pousser à jouer !"

Là-dessus, l’autre a haussé les épaules :

" C’est plutôt bon enfant, ce ne sont pas des vrais criminels. Ce qu’il faut, c’est combattre les gros bonnets, la véritable criminalité, ceux-ci ne sont pas bien méchants."

Et puis, très philosophe, il a lâché :

"Tant qu’ils restent dehors, je ne m’en soucie pas trop. Et quand bien même : qu’ils viennent dépenser leur argent ici si ça leur chante."

Pendant que nous en parlions, nous nous sommes rapprochés de la vitrine, et nous assistions en première ligne à leur manège :

« Vous voyez la blonde, là, elle fait la joueuse », qu’il m’explique, « mais elle fait partie de l’équipe. Le vieux monsieur qui semble hésiter à se lancer, et l’autre là, qui guette depuis le trottoir d’en face… »

Soudain, le groupe s’est agité, et en un souffle, il s’est dispersé.

« Ah, vous voyez" reprend le gérant "ils ont dû repérer des flics. Les lascars vont s’éloigner, attendre que ça passe, et plus tard, ils reviendront. »

Seulement, cette fois-ci, trois des joueurs se sont ravisés, dont le meneur, un colosse à l’allure de boxeur. Ils se sont introduits dans le magasin de sport pour se mêler à la clientèle.

J’ai alors vu le gérant devenir blanc comme un linge et abandonner aussi sec notre petite causerie pour aller s’affairer au fonds.
Je ne suis moi-même pas resté plus longtemps.
Que voulez-vous : la peur est communicative.

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Genève, le 15 Avril 2010. Rues Basses, devant le magasin de sport, vers 15h10.
Le meneur s'apprête justement à agripper un passant. Sinon, il n'y a toujours pas de joueurs sur cette image.

Bonneteau, bonnes poires…

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Depuis quelques semaines, Genève est envahie par des joueurs de Bonneteau.
Enfin, « joueurs »…
Plutôt des bandes parfaitement organisées qui, par petits groupes, prétendent jouer à ce jeu de rue où le seul but est finalement de voler son argent à celui qui voudra y participer.

En effet, il faut savoir que l’équipe qui joue au bonneteau se compose du meneur, qui manipule les cartes ou les boîtes avec un petit pois, les complices de première ligne dont le rôle est de créer un cadre convivial puis d’encourager le seul véritable joueur, et des complices de deuxième ligne qui se tiennent en retrait et guettent l'arrivée possibles de la police ou se tiennent prêt à prêter main forte au cas où ou le perdant serait… mauvais joueur.
Car le jeu fonctionne sur plusieurs principes simples : le plus basique consiste à faire croire au pigeon qu’il est facile de gagner, de le pousser à augmenter ses mises et, quand il est à point (à perdu le sens des réalités, a sorti ses plus gros billets, etc…), à s’arranger pour le faire perdre.
Ensuite, il y a la version plus directement crapuleuse : ça commence de la même manière, mais lorsque ce même pigeon (ou un autre, on n’est pas regardant au bonneteau) a sorti tout son argent, le meneur et ses complices n’ont plus qu’à garder l’argent et convaincre le pigeon d’aller voir ailleurs ou se disperser eux-même avec l’argent… volé.
Car dans un cas comme dans l’autre, ce n’est que du vol pur et simple.

Personnellement, la vision à présent quotidienne de ces escrocs de rue m’insupporte de plus en plus.
J’ai contacté la police par mail, photos à l’appui, et n’ai eu aucune réponse.
J’en n'attendais de toutes façons pas grand-chose, car j’ai déjà eu des contacts avec eux sur un sujet similaire, les dealers qui arpentent les rues et les parcs et haranguent sans relâche les passants : « Tu cherches ? T’en veux ? ». Ils provoquent par leurs seules présences un sentiment très fort d’insécurité et de malaise, le sentiment que le crime est partout et qu’on n’est pas protégé.
Et, malheureusement, avec le bonneteau, c’est pareil, en plus grave dans l’échelle de la criminalité, car ses pratiquants ne cherchent même pas à procurer une marchandise illicite et nocive, mais bien à détrousser leurs victimes.
Et donc la police est impuissante à faire cesser leur activité, car… ils n’ont pas assez d’effectifs, les escrocs sont trop malins, il n’y a pas de volonté assez forte pour régler le problème, les coupables ne risquent pas grand-chose avec la législation actuelle, de toutes façons les prisons sont déjà trop pleines, on ne peut les renvoyer dans leur pays, etc… etc…

Dans ce cas, si on ne peut rien faire pour se débarrasser des dealers et des joueurs de bonneteau, il me parait évident que l’information va circuler, et bientôt on aura un autre type de criminels dans nos rues, puis un autre, et un autre.
Et on aura alors un sujet de préoccupation autrement plus important que de veiller à la sécurité… des pigeons.

Et de toutes façons, sur ce coup-là, nous sommes déjà tous des pigeons.


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Genève, le 5 Avril 2010. Quai du Mont-Blanc, vers 13h30.
Il n'y a pas un seul joueur sur cette image.

Femmes de Fantasmes 2: Le Quatrième Mur.


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Hier soir, à l'initiative d’une amie, Bridget, nous sommes allés à un récital d'airs d'Opéra. Les airs étaient  chantés par un couple  accompagné, et le principal attrait de ce récital était pour moi la présence de Korngold au programme, avec l'"Air de Fritz" de DIE TOTE STADT.
Parmi les autres "hits" se trouvait  l' "Air des Bijoux" du FAUST de Gounod, autrement connu dans certains milieux comme... l'air de la Castafiore: "Ah je ris de me voir si belle en ce miroir!" C'était super rigolo de l'entendre enfin avec la musique, et interprété de manière tout-à-fait sérieuse. Sinon, une œuvre   "totalement inconnue" de nous, GIANNI SCHICCHI de Puccini, mais dont nous avons pourtant  instantanément reconnu la mélodie. Mais d'où? Une pub? Un film? Mystère.

Le reste du programme m’a moins intéressé.  A tel point  que j’ai commencé à me gratter nerveusement le poignet, et qu'à mi-parcours, je ne pouvais plus m'arrêter.
La soirée allait pourtant me réserver un moment de pure jouissance, qui est intervenu lorsque la très belle chanteuse a brisé le "quatrième mur" de la scène. 
Elle s’est dirigée dans un premier temps vers le public, a escaladé les gradins jusqu'à hauteur de ma rangée, puis s'est dirigée droit vers moi,  s'est assise à côté de moi, s'est serrée contre moi. Je venais à peine d’arrêter de me gratter lorsque, chantant toujours pour le reste de la salle, elle m’a agrippé le poignet douloureux, faisant instantanément disparaître la douleur.
Elle a commencé à défier son "amant" sur la scène, qui à son tour hurlait des insanités dans ma direction dans une langue extra-terrestre.
J'ai plusieurs fois essayé de dévisager la déesse, mais c'était impossible : à chaque fois,  elle me transperçait déjà de son regard avec un sourire aussi large que bienveillant. Son joli visage occupait alors l’intégralité de mon champs de vision. J'étais cramoisi d'embarras.

Elle s'est finalement penchée vers moi. Comment faisait-elle? Elle était déjà si proche! J'ai cru qu'elle allait me chuchoter quelque chose, mais au lieu de cela, elle m'a embrassé au creux de l’oreille, et tout aussi vite  qu'elle est venue elle est repartie vers la scène et... le quatrième mur s'est refermé.

Sauf que pour moi, il est resté entr'ouvert jusqu'à la fin du récital.
J'avais sans cesse l'espoir que cette vision de Paradis le refranchirait pour moi, rien que pour moi.

Plus tard, au bistrot, Bridget a interrompu notre conversation pour me désigner un groupe qui discutait à une table adjacente:
"Tiens, regardes,  c’est la chanteuse de tout  à l'heure."
J'ai regardé, mais je ne la reconnaissais pas du tout.
"Mais si, insista Bridget, je t'assure."

Non, ce n'était pas elle. Cette femme-là était une vraie femme, habillée et maquillée comme une vraie femme, qui tenait des propos ordinaires à des amis ordinaires, une femme dépouillée de toute aura magique.
Une femme comme on en croise tous les jours.

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La déesse des planches.

dimanche 11 avril 2010

Progrès marquant

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Je suis suivi depuis le mois d’octobre dernier par le Dr Isabelle Mornas.
Cette psychothérapie fait suite à deux autres : une avec le Dr André Copernic de juin 2007 à décembre 2008, et une très brève avec le Dr Hélène Jeanneret, de Février à Septembre 2009.
Le Dr Mornas est la première avec laquelle j’ai obtenue un résultat très encourageant.
Pour être juste, les deux premiers médecins ont quand même leur responsabilité dans ce succès. Mais je reste tout de même convaincu que Dr Mornas a été déterminante dans la spectaculaire amélioration de mon état.

Il me semble que plus que les deux premiers, elle a cherché à définir ce qui n’allait pas chez moi, et surtout, elle a apporté des réponses pratiques à mes maux.
Dr Mornas m’a par exemple aidé à mieux structurer mon emploi du temps, chose que Copernic avait déjà tenté, avec un succès très limité.
Elle m’a recommandé d’acheter un agenda au format « cahier d’école », avec les jours pré-inscrits, une page par jour, et d’y noter non seulement les tâches à accomplir, mais aussi de dresser le bilan factuel de chaque journée passée, et aussi le bilan émotionnel : étais-je content de moi, me sentais-je bien, avais-je fait des progrès ?
Pendant plusieurs semaines, j’ai bloqué : je n’ai pas acheté l’agenda, je ne comprenais pas bien ce que je devais y inscrire ou n’arrivais pas à me le rappeler une fois sorti de la consultation.
Le Dr Mornas aurait pu se fâcher de mon manque évident de bonne volonté, comme Jeanneret avant elle qui me reprochait de prendre des notes quand elle me parlait.

Mais non : le Dr Mornas* a été très compréhensive :

« Ce n’est pas grave, on a le temps. Je vous le redirai la prochaine fois.»

J’ai essayé dans un premier temps d’établir ce programme dans le cahier de notes que je possède déjà : ça a très bien fonctionné la première journée, sauf que l'ensemble était devenu illisible, et j’avais rempli quatre pages et non une.
J’ai donc adapté la stratégie du Dr Mornas à un fichier Word, que je garde en permanence sur moi sur une clef USB, sauf… quand j’oublie cette clef au travail ou chez moi ; mais, globalement, ça fonctionne !
J’écris bien « globalement » car, alors que je revois ces lignes, j’ai perdu cette clef chez moi, au moment où je m’organisais pour la journée ! Une seconde sous mes yeux, la suivante introuvable. J’ai encore des progrès à faire.

J’espère bien retrouver cette clef, pour que je puisse amener au Docteur, à la prochaine consultation, un document préparé par mes soins qui dira :

« CERTIFICAT DE CAPACITÉ DÉLIVRÉ PAR SON PATIENT AU DR MORNAS : Nous certifions par ce document que le Dr Mornas est apte à exercer la Médecine, et nous lui sommes reconnaissant des services rendus. Fait ce jour, mardi 13 avril 2010. Avec notre gratitude. L’Hydrocéphale.»
* je corrigerai les incohérence de genre dès que j'aurai résolu l'énigme grammaticale.
 

 Banana Split in Heaven. R.I.P. 11.4.2010. Genève.

jeudi 8 avril 2010

Serial Poinçonneur.

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J’ai repris contact avec Jérémie, un ami que j’avais quelque peu perdu de vue depuis longtemps.
Il y a une quinzaine d’années, il avait eu un retard de quelques minutes à un de nos rendez-vous, et pour le justifier, il m’avait raconté avoir séduit en chemin une inconnue dans le sous-sol de la gare. Mais séduit…. Séduit ? Oui, l’euphémisme habituel pour  « baisé ».
Je n’y avais pas vraiment cru, mais l’image de ce « single man » qui se « tape » des inconnues sur le chemin de ses rendez-vous m’avait marquée.
« Et alors, lui ai-je demandé l’autre jour, tu te fais toujours des nanas dans les toilettes de la gare ? »
Rires.
« Non, m’a-t-il répondu, mais il m’est arrivé autre chose récemment. Je devais passer par là pour rentrer chez moi, c’était tard le soir et il pleuvait.
Je préfère normalement éviter le sous-sol, mais comme je n’avais pas de parapluie, j’ai choisi cette voie.
Dès que j’y m’y suis retrouvé, j’ai pris peur et, machinalement, j’ai empoigné un couteau que j’avais ce jour-là dans la poche. De loin, j’ai vu arriver un groupe de jeunes vraiment pas rassurants, et au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient, ils se sont mis en formation de flèche, qui pointait dans ma direction.
Arrivé à ma hauteur, le « chef » me menace sans autre : « Tu sors pas d’ici sans me filer 100 balles ! » J’ai serré le couteau plus fort, et avec un sourire narquois, je lui ai lancé : « T’as la monnaie sur 200 ? » et là-dessus, je lui plante le couteau dans l’estomac ! Ils ont tous déguerpi à la seconde. »
Comme dit la chanson : « Des petits trous, toujours des petits trous… »

 Genève. Avril 2009.

mercredi 7 avril 2010

Ça n’arrive jamais.

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Il y a quelques années, je me rendais souvent à ma banque pour y trier la monnaie accumulée au magasin.
Depuis cette époque, j'ai appris à mieux la réguler, et mes visites y sont devenues plus rares.

Je versais donc la monnaie dans une machine qui, après l’avoir digérée, m’établissait un ticket que j’allais ensuite échanger au guichet contre des billets.
Seulement, plusieurs fois, le total de la machine ne correspondait pas à celui que j’avais établi au magasin.
Au début, je me suis dis que j’avais dû mal compter, mais à la longue, ça a fini par me contrarier. Et j’ai donc pris l’habitude de revérifier plusieurs fois mon total avant de m'y rendre.
A la première alerte manifeste, je n’ai eu aucun scrupule à me plaindre auprès de l'huissier de la banque qui m’a répondu, plein d’assurance :

« Ah ce n’est pas possible. La machine ne fait jamais d’erreurs.

- Et pourtant, j’ai rétorqué, il me manque cinq francs trente.

- Vous avez mal compté. C’est une machine. Elle ne fait pas d’erreurs.

-Et pourtant, je vous assure que si.

- Désolé, mais ce n’est pas possible. La machine ne se trompe jamais.

J’ai vraiment dû insister, parce qu’il a fini par me dire :

« Si vous voulez, on peut aller vérifier, mais ça ne sert à rien, elle ne peut pas se tromper.

- Vous me le proposez si gentiment.

Là, j’ai senti que je l’avais énervé, et à ce stade, j’étais partagé entre la certitude absolue que j’allais avoir gain de cause et la crainte qu’ "une fois de plus", la Machine aurait raison du misérable vermisseau que j’étais.
Le Concierge est allé chercher des clefs, s’est accroupi devant sa Majesté la Trieuse et, avec déférence, il lui a ouvert les entrailles :

« Vous voyez bien. La monnaie rentre par là, elle tombe dans les tubes, et elle ne peut pas aller ailleurs que…»

Sont soudain apparues des piécettes, qu’il a commencé à extraire, une à une : cinquante centimes d’abord, puis dix, puis vingt, et de nouveau dix, puis une pièce plus grosse de un francs, et même… une grosse pièce de cinq francs.
Et tout le long de cette recherche, le pauvre homme marmonne :

« Alors ça… pas possible. Mais… Comment est-ce… ? Mais non… »

En tout, il y en avait pour près de vingt francs de monnaies tombées… dans des endroits impossibles !
Une véritable orgie de triomphe!

J'aurais pu sauter les bras en l'air, tellement j'était ravi, et hurler, au milieu de la banque: "Adrienne! Adrienne!". Mais j'ai opté pour un triomphe modeste et discret:

« Alors, du coup, tout cet argent est à moi ? »

« Écoutez, je suis vraiment navré. » Cet Apollo Creed de la finance genevoise était tout déconfit, il faisait presque peine à voir. « Je n’y comprends rien. Ça n’arrive jamais. »

J’ai eu l’occasion de réclamer plusieurs fois par la suite, et la même chose est de nouveau jamais arrivée.

Plusieurs fois.

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 Genève. Janvier 2008.

Them bones...

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J’habite au n° 7 d'une rue la Vieille Ville de Genève.
Ce quartier est comme un Village hors du temps, où tout le monde se connait et se salue, même si on n'y est pas plus libre qu'ailleurs.
Il est difficile de le quitter tellement on s'y sent bien.

Ce matin, trois ouvriers creusaient une tranchée dans les pavés.
Une dame s’est arrêtée pour bavarder :

Elle : « Alors, ça avance, ces fouilles ? »
1er Ouvrier : « Vous croyez pas si bien dire, On trouve de tout là-dessous. »
- Ah bon ? Quoi par exemple ?
- Ben, des ossements.
- Oui, bon, des ossements…
- Humains.
- Humains ? Vraiment ?
- Bien sûr ! »

Là-dessus, il cherche à ses pieds et lui tend ce qui ressemble fort à une vertèbre, encore toute souillée de terre. Pas plus impressionnée que ça, elle l’examine, la retourne, et l’essuie.

« C’est vraiment un os humain ? Vous êtes sûr ? »
- Garanti. Il vous plait ? (Rire groupés des trois ouvriers.)
« Beaucoup, répond la femme avec une joie non feinte. Il est superbe. Je peux le garder ?

L’ouvrier dans la tranchée hausse les épaules :
« Si vous voulez…
- J’en ferai un bijou. (Elle continue de le débarrasser de sa terre.)
1er Ouvrier : « Un bijou ?»

Un deuxième ouvrier dévoile son mollet poilu:

« Si c’est pour en faire un bijou, prenez ma jambe, je vous la vends 10.000 FS ! »

Bonjour chez vous .


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 Genève. Mars 2010.

mardi 6 avril 2010

Femmes de Fantasmes.

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La vitrine d’une boutique devant laquelle je passe souvent affiche depuis des semaines un livre d'exception: « Helmut Newton, Sumo », le plus cher jamais produit, d'après la pub.

Le modèle qui illustre sa couverture est une femme qui m’a durablement impressionné il y a plus de 30 ans. Elle est d’abord apparue dans l’édition américaine de « Playboy » avant de poser pour Newton pour sa série « Big Nudes », utilisée ici.

Pendant une période d’un peu plus de 10 ans, de 13 à 25 ans, j’ai été un fan assidu de « Playboy ». D’abord à travers les exemplaires que mon père collectionnait et que je consultais en cachette. Puis de façon autonome, dès que j’ai eu l’âge de les acheter.

La découverte de cette vitrine de magasin a provoqué chez moi un élan nostalgique qui m’a donné envie de retrouver certaines de ces femmes désirées il y a tant d’années. Mais comment faire?
J’ai alors repensé à l’une d'elles : Susan Lynn Kiger, Playmate de Janvier 1977.
J’ai retrouvé des photos d’elle sur internet et c’était comme si je repèrenais contact avec une vieille amie. Elle n’a pas changé. Toujours aussi sportive, gracieuse, provocante. Elle fait toujours du ski. Elle séjourne toujours dans le même chalet où elle aime à se prélasser langoureusement au coin du feu. Elle porte toujours les même bottines invraisemblables en laine tricotée blanche, qu’elle lace et délace sans fin.
Seule sa coiffure me surprend à présent, tellement elle évoque avec le recul celle de Farrah Fawcett à la même époque !
Susan Lynn Kiger. Soupirs…. Tout une époque.
Et tout un univers de désirs et de tourments intimes retrouvés.

Et le modèle de Helmut Newton ? Je n'ai eu aucune difficulté à évoquer aujourd'hui son noble pedigree : Henriette Allais , Playmate du mois de mars 1980.

Ces dernières années, j’ai du mal à me rappeler où je laisse des objets, j’oublie le code d'entrée de mon immeuble, et je suis parfois incapable de me souvenir du nom de personnes de mon entourage.
Mais les alias portés par deux images de papier sur lesquelles je me suis satisfait il y a trois décennies sont gravés à jamais.

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Genève. Avril 2010.

dimanche 4 avril 2010

La Vieillesse et la Mort 2.

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Au début des années 90, ma mère a été soignée pour une dépendance à l’alcool et aux médicaments, et pour des crises maniacodépressives, une tendance chronique à passer d’états euphoriques à la dépression. Elle a été suivie dans un centre médicalisé pendant un peu plus d'un mois.

Suite à ce traitement, elle n’a plus fait de crises importantes, mais elle s'est retrouvée plus ralentie, moins vive, moins créatrice. Elle avait fait de la photo pendant des années, beaucoup écrit aussi.

Elle a continué à vivre de manière autonome, et ne nous occasionna, à mes deux sœurs et moi, plus de soucis comparables à ceux qui ont précédé sont bref internement.

Cependant, à partir de la fin des années 90 et surtout du début des années 2000, nous avons commencé à remarquer des éléments légèrement inquiétants dans son comportement.
Pendant l’été 2000, par exemple, lorsque j’arrivai à St Jean-de-Luz pour des vacances dans la maison familiale, elle nous accueillit, moi et ma compagne du moment, Estelle, non pas avec un « Bienvenue, avez-vous fait bon voyage ? » mais avec un « Quand est-ce vous partez ? » Et elle réitéra cette question pendant tout le séjour, plusieurs fois par jour, tous les jours.
Pendant ce même séjour, je remarquai que ces réflexes au volant étaient sensiblement ralentis : elle s’arrêtait souvent après un « stop » ou un feu et redémarrait avec du retard. A tel point que je proposai de prendre le volant les fois suivantes.
Par la suite, mes sœurs et moi, nous remarquâmes que le menu des dîners dominicaux avaient tendance à se répéter, et certaines fois, notre mère commettait des erreurs grossières, surcuisait le riz, ou mettait beaucoup trop de sel, ce genre de choses.
Un jour, elle eut un accident de voiture, l’état de sa voiture en attestait, et elle fut incapable d’expliquer où et quand il avait eu lieu.
Ma sœur aînée, Monique, qui est psychiatre, décida de lui faire passer une évaluation neuropsychologique.
Les résultats mirent à jour un état de démence avancé, et des examens neurologiques plus poussés une maladie de type Alzheimer.

Ce qui m’intrigua, lorsque je pris connaissance des questions posées lors du test neuropsychologique, c’est que je n’étais pas certain que je réussirais moi-même à répondre correctement à toutes les questions si elles m’étaient posées.
De plus, à cette époque, j’avais moi aussi été sujet à des absences, des trous de mémoires et des fatigues importantes.
J’ai finalement décidé de consulter un neurologue en juillet 2004, le Docteur Gunaz.
Après avoir écouté mes doléances, il me fit passer quelques tests basiques : marcher sur une ligne droite, effectuer des gestes nécessitant une certaine coordination ou une certaine agilité, suivre son doigt du regard, et…. Il en conclut :

« Je ne détecte aucun signe particulier qui confirme vos plaintes. Pour moi, votre état est tout à fait satisfaisant.

- Vous ne pensez pas que je devrais subir d’autres tests ?

- Vous voulez subir d’autres tests ? Quel genre ?"

Je lui fis part de l’histoire de ma mère et de son test neuropsychologique.

« Vous pensez à un neuropsychologue particulier ?

Je lui dis que non, mais j’aimerais subir ce test dès que possible. Il me fournit une liste de trois personnes à contacter.

Dix jours plus tard, je me retrouvai chez l’une d’elles, Carla Berni, qui me fit subir un test d’une durée d’une heure trente, consistant en des séries de questions évaluant ma mémoire verbale, visuelle, à court terme, à plus long terme. Elle me fit aussi effectuer différentes opérations, de complexités diverses, des exercices nécessitant une concentration prolongée. Elle me soumit un dessin constitué de formes géométriques simples qui, par certains aspects, faisait penser à une maison et par d’autres, n’avait plus de logique : des « fenêtres » placées de manière aléatoire et de formes impossibles, une « onde » qui partait d’un des côtés et se terminait par un râteau, ce genre de choses….

Je réclamai une pause après environ quarante minutes, puis une autre vingt minutes plus tard.
A la fin des tests, j’étais complètement épuisé : j’avais avalé une plaque entière de chocolat noir pendant les deux pauses et je pris deux aspirines avant de pouvoir entendre ses premières conclusions.

« Alors, comment je m’en suis tiré ?

- Pas trop mal.

- Mais encore ?

- Les résultats ne sont pas globalement alarmants, la plupart tout de même un peu en dessous de la moyenne pour un individu de votre âge. Il y en a néanmoins un ou deux qui méritent une attention particulière.

- C’est-à-dire ?

- Je vais être franche avec vous. Ces symptômes que vous avez mentionnés, ces absences, ces fatigues soudaines, celles que vous avez ressenties pendant ce test, ressemblent à des accidents cérébraux à répétitions. Des accidents mineurs, mais qui justifient à mon avis de vous faire subir au plus vite un IRM. Est-ce que votre neurologue vous en a commandé un ? »

Je fis non de la tête. Elle ne réussit pas une réprimer une surprise que j’interprétai comme : « Curieux neurologue. »

« Mais… ces accidents… je peux en mourir, non ? »

- Pas nécessairement. Je ne suis pas neurologue, vous savez. C’est à votre médecin de déterminer ce genre de choses.

- Mais vous disiez que mon état n’était pas grave…

- Et il ne l’est sans doute pas. Simplement, vous avez un cerveau plus fatigué qu’il ne devrait. La moyenne de vos résultats correspond à quelqu’un d’un peu plus âgé que vous.

- De combien ?

- Vous avez le cerveau d’un homme de soixante ans.

J’en avais quarante-cinq.
En arrivant au test, je pensais en avoir toujours trente ou trente-cinq.
J’ai pris vingt-cinq ans d’un coup.

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Genève. Juin 2008.

samedi 3 avril 2010

L'Hydrocéphale et le Sexe 2.

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Il y a près de trente ans, la scène de la jeune femme dans la vitrine a déjà été jouée.
En ce temps là, en 82, je passais tous les jours devant un magasin de chaussures pour me rendre à mon travail, une librairie de BD.
Un autre magasin de chaussures et une autre librairie de BD.

Deux jeunes femmes y travaillaient, dont l’une, Tania, m’avait tapé dans l’œil. Et elle était blonde.
Je lui souriais et elle me souriait en retour. Je la saluais et elle me saluait. Une ou deux fois, j’avais dû m’arrêter sur le pas de sa porte pour échanger deux trois mots.

Le rez de la librairie où je travaillais était tenu par un ami, Albert.
J’avais pour ma part la responsabilité du 1er étage, bien plus vaste mais séparé du rez et donc de la rue par un escalier étroit et raide. Malgré une surface double, j’avais nettement moins de fréquentation que mon collègue en bas.
Je demeurais donc en journée dans mon petit royaume bien distinct, un peu retiré du monde, un peu solitaire.

Mais un jour j’ai reçu une visite surprenante, celle de ma voisine Tania. Elle venait utiliser les toilettes, son lieu de travail en étant dépourvu.
Elle réapparut assez rapidement s’attarda pour bavarder avec moi.
Elle m’avoua plus tard que cette visite sanitaire était un prétexte mieux faire ma connaissance.

Nous étions à ce stade déjà familier l’un avec l’autre, mais sans plus.
Elle me posa des questions sur mon domaine, et je dus lui dire que j’enviais un peu la position de mon copain du rez, sur quoi, elle me déclara :

« Je ne l’aime pas tellement.

- Ah bon ? Et pourquoi ? Il est sympa.

- Non, je le trouve bizarre. Bon, je le connais à peine, mais je te préfère toi.

Boum.

Il ne m’en fallut pas plus pour que je lui propose d’aller boire un verre plus tard. J’appris bientôt qu’elle avait un copain, Claude, avec lequel elle habitait.
Ce fut bien sûr une déception pour moi, mais je n’étais pas encore réellement amoureux d’elle. Je la trouvais jolie, très sympa, de contact facile, intéressante. Nous arrivions à discuter des heures, ou des demi-heures pour être juste, sans jamais nous lasser. Alors bien sûr j’étais un peu déçu, mais elle me fit cette révélation suffisamment tôt et le traumatisme ne fut pas majeur.
Et pour être juste, à l’époque j’avais des vues sur quelqu'un d'autre, donc ce n’était pas la fin du monde.
Je pus nous imaginer devenir bons amis à la longue, et cette vision, bien que légèrement frustrante, ne me peina pas.

Un jour d’été, elle me proposa de venir dîner chez elle. Son copain et elle habitait un studio dans une maison de village de la campagne genevoise, et il serait absent ce soir-là. Il voyageait beaucoup pour son travail.
Et pour qu’il n’y ait aucun malentendu, elle me fit venir tôt. Ainsi, je pourrai rentrer chez moi à une heure tout-à-fait convenable.
La soirée fut charmante et détendue. Elle avait préparé une délicieuse salade, nous avons bu un peu de vin, mangé du gâteau au chocolat que j’avais apporté et bavardé comme à notre habitude, laissant le temps filer presque sans en avoir conscience. Je dis presque, parce que de temps en temps, je vérifiais discrètement ma montre, me demandant à quel moment il serait opportun de prendre congé de la charmante demoiselle.
Vingt et une heure passa sans que nous ne le sachions, vingt deux heures sonna à l’église du village, puis vingt trois heures. Et là, je pris une profonde inspiration pour lui annoncer que je devais rentrer.

« Tu es venu avec le bus ?

- Non, en vélomoteur.

- En vélomoteur ? Mais tu es fou, ce n’est vraiment pas sûr, par ces routes sombres. Je ne peux pas te laisser rentrer en vélomoteur. Prends le bus.

Je trouvais l’idée vraiment curieuse, car j’avais déjà parcouru des distances plus longues, sur des routes bien plus périlleuses, également de nuit, mais je décidai de ne pas la contrarier.
Le dernier bus passait dans quinze minutes, donc j’avais largement le temps de réunir mes affaires pour l'attraper, mais elle tint à conclure élégamment notre conversation, l’alimentant même de nouveaux éléments, jusqu’à ce que finalement je lui annonce :

« J’ai loupé le dernier bus.

- Certes. Écoutes, voilà ce que je te propose. Tu peux rester dormir ici. Je préfère, vraiment. Je te prête un pyjama de Claude, voilà une brosse à dents, et tu peux aller te doucher et te changer à côté, qu’en dis-tu ?

J’ai dit… d’accord, bien sûr, mais « dormir ici », ça voulait forcément dire… dormir dans le même lit, car il n’y en avait pas d’autre, et pas de canapé, et une seule pièce.

Alors que je me douchais et me brossais les dents dans la salle de bain attenante, mon corps tout entier a été parcouru d’ondes électriques : j’avais à peine songé à la chose jusque là, mais il ne faisait absolument aucun doute que Tania, la diablesse, m’avait attiré dans un traquenard, un si doux traquenard, et dans quelques minutes, j’allais coucher avec elle.

Ça serait aussi, l’ai-je précisé ? Ma première fois, ma toute première fois.
O boy, o boy, o boy…

En même temps, je n’étais pas sur paniqué : je l’aimais sincèrement, je savais qu’elle m’aimait bien, le copain Claude à ce stade… Où en étais-je ? Ah oui : j’aimais Tania, elle m’aimait, j’avais confiance en elle, elle ne me couvrirait pas de ridicule si je la décevais par mon manque d’expérience.
Donc, aucun doute dans mon esprit : « Fonce, Marcel. »

Je ne sais comment, mais nous nous sommes retrouvé sous les draps, elle en chemise de nuit, moi en pyjama, et elle m’a demandé :

« Ca va ? »

Oui, ça va. La fusée va bientôt décoller pour son premier vol orbital, mais ça va. Je me prépare depuis des années, tous les systèmes sont « go ». Prêt au décollage.

« Très bien alors… »

Et d’un mouvement très élégant, elle a éteint la lumière.
Et quand je dis éteint, c’est éteint. Nuit noire. Je n’avais jamais connu ça. Je n’étais pas préparé à un tel choc, ça ne faisait pas partie du tableau. J’avais beau essayer de distinguer une forme, une lueur même très faible, il n’y avait que le néant.

« Tu ne dis plus rien ? »

Je lui demandai s’il était possible d’ouvrir un tout petit peu le volet, mais elle m’expliqua qu’elle craignait des intrusions nocturnes. Était-ce un problème pour moi ?

Non, bien sûr. Pas de problème, j’étais juste pétrifié par une terreur incontrôlable.
J’essayai de me rappeler que j’étais censé entamer un… un geste vers elle, quelque chose, mais où était-elle ? Je l’entendais parler, respirer, je sentais son corps à côté de moi, mais rien n’y faisait : c’était comme si elle avait physiquement cessé d’exister en un instant.

Plus aucune idée sexuelle ne m'habitait.
Mon seul recours fut de m’endormir comme une masse jusqu’au lendemain.

Quelques mois plus tard, je racontai cet incident à une amie de ma grand-mère qui me demandait où j’en étais de ma vie sentimentale, et elle fut très choquée et incroyablement directe :

« Tu ne lui a pas fait l’amour !?! »

- Heu, non, vous savez, nous n’avons pas ce genre de relation. C’est une amie, rien de plus. Et elle a un copain.

- Mais tu as du désir pour elle ? Tu l’aimes ?

J’étais un peu surpris par la franchise de la question, mais n’avait aucune intention de décevoir la charmante dame :

- Oui, oui, absolument.

- Hé bien, mon cher, une femme qui t'invite à dormir chez elle, mariée, pas mariée, elle ne veut qu’une chose : que tu lui fasses l’amour ! Maintenant, je ne veux plus jamais entendre une histoire aussi ridicule de ta part !

Et après une expiration profonde:

- Peur du noir ! Quelle sottise.

J’étais consterné. Tout était clair à présent. Après des semaines à me triturer les méninges : avais-je eu tort ? Raison ? Avais-je été un gentleman ou un lâche ? La vérité était sortie de la bouche de cette dame.

Ce jour-là, je me suis juré, ainsi qu’à cette dame, que je ne laisserai plus jamais passer d'occasions aussi belles.
Ça n’arriverait plus jamais.

Je me trompais.

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Genève. Avril 2010.

vendredi 2 avril 2010

L'Hydrocéphale et le Sexe

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Dans le film A SINGLE MAN de Tom Ford que j’ai vu hier, le personnage homosexuel joué par Colin Firth aborde un beau mâle espagnol à la sortie d’une épicerie. Il lui offre une cigarette, les deux hommes engagent la conversation, et assez rapidement, l’un et l’autre prennent conscience de leur attirance sans équivoque.
Je me suis alors demandé si ce chaud latin préférait le Colin aux beurs noirs.

« C’est un peu trop facile » me suis-je dit.

Encore tout imprégné de l'atmosphère sensuelle du film , je suis tombé en arrêt ce soir devant la beauté d’une jeune femme qui attendait son bus. Imaginez Penelope Cruz il y a quelques années. Ou Paz Vega, que je préfère. J'ai écrit Penelope Cruz pour vous aider à mieux comprendre.

Je me suis donc arrêté, et me suis retourné. Elle était effectivement très belle. Et seule. Et elle se languissait d'un gus qui n'arrivait pas.
Et ne fumait pas.
Je n’y songe vraiment que maintenant, mais si elle avait eu une cigarette incandescente à la main, j’aurais soupiré et continué mon chemin. Une femme qui fume ne peut être désirable à mes yeux.
Elle ne fumait pas, était seule et n'attendait probablement que moi, et j’ai... continué mon chemin malgré tout.
Mais comment faire autrement ?

J’ai d’abord imaginé faire comme elle: celui qui attend un transport hypothétique; mais j’aurais dû rebrousser chemin, me présenter à sa hauteur et … lui offrir une cigarette ? Impossible, bien sûr.
Mais peut-être aurais-je pu engager la conversation.

« Vous attendez le bus ? C’est curieux, j’ai soudain eu envie d'en prendre un au hasard. Ça vous dérange si je choisis le même que vous ? »

Quand on veut faire connaissance avec une femme, lui soumettre une proposition où la réponse négative prend un sens positif est une excellente manière de démarrer.
Avec un homme, un tel stratagème est superflu : reportez-vous à A SINGLE MAN.

Il y a quelques mois, une vendeuse d'un magasin de chaussures voisin est venue m’acheter un livre.
J’ai été tétanisé par sa présence. Sûrement une histoire de phéromones, car elle ne m’avait pas fait jusque là autant d'effet.
Elle ressemblait un peu à Scarlett Johansson. Encore plus a Julia Stiles en fait, mais j’ai mis Scarlett Johansson pour la même raison que j’ai écrit Penelope Cruz plus haut.

Peu après, j’ai décidé de donner suite à ce soudain émoi.
Mais comment faire ? Je ne pouvais pas rentrer dans son magasin et lui faire une déclaration d’amour. Et je ne fumais pas non plus à cette époque, c’est désespérant.
J’ai opté de faire semblant d'y chercher un cadeau.

Ça allait se passer comme suit :

Moi : « Bonjour ! »

Elle : « Tiens, c’est vous? »

« C’est toujours aussi calme chez vous ? »

« Non, mais souvent en semaine. Et chez vous ? »

« Non, chez nous, il y a plein de monde ! »

« Mais alors comment faites-vous pour être ici ? »

« J'ai des employés. »

« Vous en avez de la chance. Vous feriez un mari idéal. »

Et tout ça sans avoir recours une seule fois au stratagème de la fausse question négative !

J’avais donc tout bien répété. Il n’y avait plus qu’à y aller.
A ma première tentative, elle était absente. Il y a plusieurs vendeurs, et elle n’ était donc pas là tous les jours.
La fois suivante, mes jambes ont catégoriquement refusé de me laisser entrer.
En plus, il y avait du monde, donc « C’est toujours aussi calme chez vous ? » ne pouvait plus servir.

Un jour suivant, le même phénomène de « lâcher de jambes » s’est produit, malgré le fait que j’avais à présent prévu une alternative idéale à la suite de « Tiens, c’est vous? »
Le surlendemain, j’ai trouvé la solution : je n’avais qu’à approcher du magasin en regardant mes pieds. Une fois à l’intérieur, je ne pourrais plus reculer. C’était mon plan, en tout cas.
Malheureusement, au dernier moment, j’ai levé les yeux par réflexe et poursuivi ma course le long de la vitrine.
J’étais absolument furieux de mon échec, et me suis alors juré que la fois suivante serait la bonne. J’ai donc recommencé, et cette fois-ci : victoire !
Seulement, elle n’était pas là.
Pas de panique, elle s’était peut-être juste absentée. J’ai donc entamé ma visite innocente des lieux. Deux vendeurs discutaient à la caisse. Je m’apprêtais à tout moment à leur expliquer que je cherchais un cadeau, mais ils ne m’ont rien demandé.
J’ai donc fait mon petit tour, en me sentant de plus en plus mal à l’aise à faire semblant d’examiner des chaussures pour lesquels je n’avais aucun désir, et sentant qu’elle ne viendrait pas.

Je suis finalement ressorti en me consolant que l’échec était relatif : je n’avais qu’à réessayer encore.

Mais voilà, le lendemain, c’était trop tôt. Le surlendemain aussi, et elle a ensuite été absente plusieurs jours de suite.
Les jours se sont transformés en semaines et les semaines en mois. Elle n'est pas revenue.

Je pourrais continuer à espérer qu’elle est en congé sabbatique, mais je dois me résoudre à l’évidence : j’ai laissé passer ma chance.

En plus de trente ans de quêtes féminines, j’ai accumulé une somme d’expériences importantes sur le sujet. Et pourtant mon tableau de chasse est plutôt misérable.

Comment font les autres hommes ? Comme Colin Firth dans A SINGLE MAN ?

Biarritz. Août 2008. Omahyra Mota sur le tournage de "Les Derniers Jours du Monde" des frères Larrieu. Elle m'a fait une impression durable. Et elle n'a pas besoin de "ressembler à". Elle est en fait un top modèle très convoité. Et elle est devenue mon amie sur Facebook. Success! :D

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