dimanche 9 octobre 2011

Femmes de Fantasme 3 : La Pianiste.

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Un de mes cas les plus récents et aussi des plus durables de fixation féminine concerne une pianiste de renommée internationale.

Je l’ai remarquée pour la première fois vers 1995 sur le chemin du travail, en photo dans la vitrine d’un disquaire.
Chaque matin qui a suivi, j’ai fait une pause pour l’admirer, sans chercher à en savoir plus sur elle, ni à acheter ses disques, je l’avoue.
Je suis ensuite tombé par hasard sur un reportage télévisé où une jeune pianiste donnait ses instructions au chef d’orchestre sur un ton très ferme, très autoritaire.  Je n’ai pas tout de suite fait le rapprochement avec ma belle inconnue, mais le ton de sa voix, son timbre et son assurance m’ont immédiatement subjugué.
Je n’oublierai jamais le moment où j’ai commencé à comprendre que cette fascinante personne était la pianiste qui stoppait ma course presque quotidiennement.
J’ai appris dans la suite de l’émission qu’elle possédait dans l’est des États-Unis un parc animalier qu’elle entretenait quand elle n’était pas en tournée.
Quelques mois plus tard, elle donnait un récital à Genève. J’ai immédiatement acheté un billet.

La veille du concert une rencontre avec son public a été organisée dans un magasin du centre-ville. J’ai eu la surprise d’y découvrir une foule d’admirateurs sommes toutes très clairsemée. Comme j’avais préparé quelques questions, j’ai pu directement converser avec elle, et croiser plusieurs fois son regard bleu intense et faire l’expérience de sa voix chaude et veloutée en direct.
J’ai par contre très peu de souvenirs de ses propos ou des autres questions posées ce jour-là. Je ne me rappelle pas non plus de sa réponse à la mienne, qui avait trait à un élément particulier de sa vie privée; sauf que j’y vois l’intérieur d’une chambre dans une maison méridionale ancienne, meublée avec une grande armoire en bois et un lit de style ancien. Elle est en train de faire sa valise, posée sur le lit couvert d’un drap blanc molletonné. Elle sélectionne deux pulls. L’un est bleu turquoise et l’autre est blanc. Je vois sa main passer sur la laine, comme pour la lisser, et au passage de celle-ci, des notes s’envolent dans l’air environnant.

Le concert lui-même a été bercé par l’écho de notre rencontre de l’après-midi. A la fin de celui-ci, elle a signé des dédicaces dans l’entrée.
Sans grande surprise, l’approcher a été cette fois-ci plus ardu, mais j’y suis finalement arrivé. Elle m’a reconnu et semblait ravie de me revoir.
Elle a entamé la discussion comme si nous nous connaissions depuis longtemps.
J’étais alors complètement détendu, pas plus excité que si je retrouvais une amie proche après une brève séparation.

Au bout de quelques minutes, j’ai pris congé d’elle, et en m’éloignant, j’ai croisé une disquaire dont je fréquentais souvent le magasin.
Passées les salutations réciproques, elle m’a demandé :

« Tu la connais ?

- Oui.

- Et tu l’aimes bien alors ?

- Oui (avec un large sourire non dissimulé).

- Je te  comprends. Elle a l’air très sympa, très « nature ». »

J’ai alors quitté le bâtiment, me préparant à rentrer à la maison, mais je n’arrivais pas à m’y résoudre. J’ai commencé à chercher un prétexte pour retourner la voir, et me suis rappelé que je lui avais prêté un stylo pour une dédicace qu’elle ne m’avait pas rendu.
Elle a accueilli mon retour avec un sourire, et je suis ensuite resté à ses côtés jusqu’au départ du dernier amateur.
Bientôt, nous ne sommes plus que les deux dans ce vaste hall. Elle m’annonce qu’elle rentre à son hôtel, et je prends congé d’elle, pour de bon cette fois-ci.
Cette double rencontre m’a laissé  une impression durable : celle d’avoir fait connaissance avec (mais surtout d’être passé à côté de) la Femme de ma Vie !

Malheureusement, elle a sa vie d’artiste, sans cesse en tournée, et elle habite le reste du temps de l’autre côté de l’Océan, et j’ai la mienne, plus modeste et plus banale à Genève.
Mais quelque chose dans son physique et surtout dans ce qu’elle irradie a un effet indéniable sur moi. Et surtout, elle a cette qualité très rare que sa présence me ramollit les genoux, comme la majorité des femmes qui m’attirent, mais sans pour autant me faire perdre mes fonctions motrices, et surtout sans mettre hors circuit mon intellect ou ma capacité à communiquer.
J’ai de plus la conviction qu’elle m’évoque une femme que j’ai très bien connue ou que j’ai intensément désirée, mais sur tout ce temps, je n’ai pas réussi à retrouver qui.

Deux ans plus tard, je traverse la Plaine de Plainpalais, une vaste esplanade herbeuse de la Ville, lorsque mon regard croise la silhouette agréable d’une femme qui marche dans la direction opposée. Comme toujours dans ces cas-là, je me retourne sans réfléchir, et je suis stupéfait de découvrir que la femme s’est déjà retournée sur moi et me toise de son regard magique :

« Hé, bonjour, comment allez-vous ? »  elle me lance.
Non seulement elle me connait, mais elle me parle !

« Heu, bien, et vous ? » Je suis toujours en train d’essayer de replacer cette créature sublime.

« Vous venez ce soir ?

- Ce soir ? » Je fais bêtement. Cette femme est une artiste, elle aime les animaux. C’est…

« Au concert ! »

La pianiste !

«  Oui, bien sûr ! »

Je ne savais en fait même pas qu’elle était à Genève.
Je m’y rends donc, mais j’ai été très déçu qu’elle ne dédicace plus ses CDs à la fin, et que je ne puisse donc la rencontrer à nouveau.

Un peu plus de hardiesse de ma part aurait sans doute aidé ma cause, comme dans la rencontre précédente, mais j’en ai rarement dans ces cas-là.
Un fan français m’a d’ailleurs une fois confié l’avoir invitée à dîner avec un groupe d’amis, et avoir passé une soirée charmante à refaire le monde avec elle.

Pour ma part, j’ai par la suite décidé de mettre mon intérêt pour cette musicienne en veilleuse, ne serait-ce que parce que je me rendais bien compte que cet intérêt était d’avantage passionnel que musical.
Non pas que l'exécution pianistique de celle-ci soit techniquement discutable ou son répertoire inintéressant, mais c’était bien le fantasme d’une existence à ses côtés qui avait alimenté mon attrait plus que ses qualités d’interprète et, le temps passant, j’estimais avoir passé l’âge de ce genre de projets imaginaires.
J’ai même laissé passer une première occasion de retourner l’écouter dans les années 2000. Ma compagne d’alors, connaissant mes sentiments pour elle, m’y a  d’ailleurs encouragé, mais je n’ai pu m’y résoudre.
J’ai eu le sentiment qu’en m’y rendant, j’aurais alors commis une forme  d’infidélité.
Elle s’était d’ailleurs elle-même mise en couple depuis peu.
Au concert suivant (elle aimait décidément beaucoup ma ville !), j’étais retourné à une vie de célibataire, mais je n’ai pas plus succombé à l’appel de son clavier ou de son magnétisme: le songe avait pour moi définitivement pris fin.

Et voilà que cette année, elle revient à nouveau!
Dans un premier temps, j’ai décidé d’ignorer activement cette nouvelle visite. Et puis, l’idée a fait son chemin. J’ai repensé à ce sentiment mystérieux et puissant, enfoui depuis près d’une décennie.
Est-elle mariée ? Vit-elle toujours avec sa ménagerie ?
Qu’importe ! Si réellement elle est, comme je l’ai autrefois imaginé, la Femme de ma Vie, je ne peux refuser indéfiniment un appel du Destin.
Et qui sait ? Peut-être sa volonté répétée de revenir jouer à Genève est-il un appel dans ma direction ?
Renseignement pris, non seulement elle n’est plus en couple depuis 3 ans, mais elle a abandonné les États-Unis et son parc animalier pour venir s’installer… oui, oui : en Suisse.

Je rêve à nouveau.
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