mercredi 23 mai 2012

Persistance.


Je me souviens encore, 36 ans après, de la vision de Karine se présentant chez moi trempée de la tête au pied.

De toutes les filles que je côtoyais quotidiennement à l’école à cette époque-là, c’est assurément celle qui m’avait fait la plus forte impression.
Elle irradiait d’une énergie particulière, dans son visage lumineux, son corps sportif, et sa voix toujours enjouée et volontaire. De plus, elle semblait singulièrement abordable, contrairement à d’autres filles plus hautaines ou réservées.

Un soir, dans ma chambre d’adolescent,  j’étais perdu dans une rêverie fantasmatique la concernant et  l’orage grondait à l’extérieur. La pluie s’est  mise à tomber en  rideaux  contre la fenêtre, et j’ai alors imaginé qu’elle s’était peut-être fait surprendre par cette brusque ondée devant chez moi.
Elle serait donc venu sonner à ma porte et je l’aurais découverte sur le seuil, ruisselant de pluie, attendant que je la laisse rentrer et que je la prenne dans mes bras.

Cette vision éphémère resurgit chaque fois que le ciel gronde.



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samedi 18 février 2012

Rêvé une nuit.

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Une masse silencieuse sur un chemin escarpé.
J’en fais partie.
La nuit est permanente.

Ai-je été fauché par  un virus, un véhicule, une peine ?
Je suis happé vers un Etre majestueux.
Je vais être évalué, car j’ai pêché; un karma imparfait. Ayez pitié.
Celui qui me scrute semble asexué. Il n’est ni beau ni affreux, il est.
Il  a les cheveux bruns  sur les épaules, il est bien en chair. Sa peau est étincelante.
Certains l’appellent Yahweh, le Créateur ou le Maître. Les autres autrement.

Une intense chaleur m’envahit, un bien-être sans équivalent.
L’Etre s’élève sans bruit.
Je le suis, ainsi que  les âmes triées par Lui.
Je plane sur cette vallée lacrymale, éternellement libre et heureux.

Puis je me réveille.
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dimanche 27 novembre 2011

Des Comptes.


Ma ville abrite environ 600.000 âmes.

Près de 50% sont des femmes (300.000), et à peu près 20% de celles-ci sont dans une tranche d’âge susceptible de me convenir comme partenaire (60.000).
De celles-ci, 30% sont célibataires (18.000).

Mais seules environ 60%  sont  motivées pour trouver un partenaire.  Soit les récalcitrantes viennent de rompre ou elles peinent à se remettre de leur dernière relation, ou elles estiment que le célibat sied à leur équilibre (10.800).
Malheureusement, 20% des candidates disponibles sont lesbiennes, 10% sont nymphomanes et 10% ont des pratiques sexuelles qui ne me conviendraient pas, mais pas de panique : il en reste encore un grand nombre (6480).
Sauf que je sais d’expérience que 90% des femmes me trouvent vraiment sans intérêt (648).

Et j’ai mes propres critères de sélection : il me faut impérativement une femme non-fumeuse (195) ; j’aime les femmes ni trop belles, ni trop moches, ni trop maigres ni trop grosses (40), et n’aime pas les cheveux très longs ou frisés (15).

Bon, je préfèrerai une femme de type caucasien (5), plutôt intelligente et  cultivée (1). Si elle est au moins bilingue anglais-français, a de l’humour et  aime les animaux, ce serait naturellement un plus, mais je ne voudrais pas paraître trop exigeant non plus.

Le plus improbable serait en définitive que nos chemins se croisent, et qu’elle et moi soyons disponibles et attentifs l’un envers l’autre à ce moment-là.

Je suis célibataire. 

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dimanche 9 octobre 2011

Femmes de Fantasme 3 : La Pianiste.

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Un de mes cas les plus récents et aussi des plus durables de fixation féminine concerne une pianiste de renommée internationale.

Je l’ai remarquée pour la première fois vers 1995 sur le chemin du travail, en photo dans la vitrine d’un disquaire.
Chaque matin qui a suivi, j’ai fait une pause pour l’admirer, sans chercher à en savoir plus sur elle, ni à acheter ses disques, je l’avoue.
Je suis ensuite tombé par hasard sur un reportage télévisé où une jeune pianiste donnait ses instructions au chef d’orchestre sur un ton très ferme, très autoritaire.  Je n’ai pas tout de suite fait le rapprochement avec ma belle inconnue, mais le ton de sa voix, son timbre et son assurance m’ont immédiatement subjugué.
Je n’oublierai jamais le moment où j’ai commencé à comprendre que cette fascinante personne était la pianiste qui stoppait ma course presque quotidiennement.
J’ai appris dans la suite de l’émission qu’elle possédait dans l’est des États-Unis un parc animalier qu’elle entretenait quand elle n’était pas en tournée.
Quelques mois plus tard, elle donnait un récital à Genève. J’ai immédiatement acheté un billet.

La veille du concert une rencontre avec son public a été organisée dans un magasin du centre-ville. J’ai eu la surprise d’y découvrir une foule d’admirateurs sommes toutes très clairsemée. Comme j’avais préparé quelques questions, j’ai pu directement converser avec elle, et croiser plusieurs fois son regard bleu intense et faire l’expérience de sa voix chaude et veloutée en direct.
J’ai par contre très peu de souvenirs de ses propos ou des autres questions posées ce jour-là. Je ne me rappelle pas non plus de sa réponse à la mienne, qui avait trait à un élément particulier de sa vie privée; sauf que j’y vois l’intérieur d’une chambre dans une maison méridionale ancienne, meublée avec une grande armoire en bois et un lit de style ancien. Elle est en train de faire sa valise, posée sur le lit couvert d’un drap blanc molletonné. Elle sélectionne deux pulls. L’un est bleu turquoise et l’autre est blanc. Je vois sa main passer sur la laine, comme pour la lisser, et au passage de celle-ci, des notes s’envolent dans l’air environnant.

Le concert lui-même a été bercé par l’écho de notre rencontre de l’après-midi. A la fin de celui-ci, elle a signé des dédicaces dans l’entrée.
Sans grande surprise, l’approcher a été cette fois-ci plus ardu, mais j’y suis finalement arrivé. Elle m’a reconnu et semblait ravie de me revoir.
Elle a entamé la discussion comme si nous nous connaissions depuis longtemps.
J’étais alors complètement détendu, pas plus excité que si je retrouvais une amie proche après une brève séparation.

Au bout de quelques minutes, j’ai pris congé d’elle, et en m’éloignant, j’ai croisé une disquaire dont je fréquentais souvent le magasin.
Passées les salutations réciproques, elle m’a demandé :

« Tu la connais ?

- Oui.

- Et tu l’aimes bien alors ?

- Oui (avec un large sourire non dissimulé).

- Je te  comprends. Elle a l’air très sympa, très « nature ». »

J’ai alors quitté le bâtiment, me préparant à rentrer à la maison, mais je n’arrivais pas à m’y résoudre. J’ai commencé à chercher un prétexte pour retourner la voir, et me suis rappelé que je lui avais prêté un stylo pour une dédicace qu’elle ne m’avait pas rendu.
Elle a accueilli mon retour avec un sourire, et je suis ensuite resté à ses côtés jusqu’au départ du dernier amateur.
Bientôt, nous ne sommes plus que les deux dans ce vaste hall. Elle m’annonce qu’elle rentre à son hôtel, et je prends congé d’elle, pour de bon cette fois-ci.
Cette double rencontre m’a laissé  une impression durable : celle d’avoir fait connaissance avec (mais surtout d’être passé à côté de) la Femme de ma Vie !

Malheureusement, elle a sa vie d’artiste, sans cesse en tournée, et elle habite le reste du temps de l’autre côté de l’Océan, et j’ai la mienne, plus modeste et plus banale à Genève.
Mais quelque chose dans son physique et surtout dans ce qu’elle irradie a un effet indéniable sur moi. Et surtout, elle a cette qualité très rare que sa présence me ramollit les genoux, comme la majorité des femmes qui m’attirent, mais sans pour autant me faire perdre mes fonctions motrices, et surtout sans mettre hors circuit mon intellect ou ma capacité à communiquer.
J’ai de plus la conviction qu’elle m’évoque une femme que j’ai très bien connue ou que j’ai intensément désirée, mais sur tout ce temps, je n’ai pas réussi à retrouver qui.

Deux ans plus tard, je traverse la Plaine de Plainpalais, une vaste esplanade herbeuse de la Ville, lorsque mon regard croise la silhouette agréable d’une femme qui marche dans la direction opposée. Comme toujours dans ces cas-là, je me retourne sans réfléchir, et je suis stupéfait de découvrir que la femme s’est déjà retournée sur moi et me toise de son regard magique :

« Hé, bonjour, comment allez-vous ? »  elle me lance.
Non seulement elle me connait, mais elle me parle !

« Heu, bien, et vous ? » Je suis toujours en train d’essayer de replacer cette créature sublime.

« Vous venez ce soir ?

- Ce soir ? » Je fais bêtement. Cette femme est une artiste, elle aime les animaux. C’est…

« Au concert ! »

La pianiste !

«  Oui, bien sûr ! »

Je ne savais en fait même pas qu’elle était à Genève.
Je m’y rends donc, mais j’ai été très déçu qu’elle ne dédicace plus ses CDs à la fin, et que je ne puisse donc la rencontrer à nouveau.

Un peu plus de hardiesse de ma part aurait sans doute aidé ma cause, comme dans la rencontre précédente, mais j’en ai rarement dans ces cas-là.
Un fan français m’a d’ailleurs une fois confié l’avoir invitée à dîner avec un groupe d’amis, et avoir passé une soirée charmante à refaire le monde avec elle.

Pour ma part, j’ai par la suite décidé de mettre mon intérêt pour cette musicienne en veilleuse, ne serait-ce que parce que je me rendais bien compte que cet intérêt était d’avantage passionnel que musical.
Non pas que l'exécution pianistique de celle-ci soit techniquement discutable ou son répertoire inintéressant, mais c’était bien le fantasme d’une existence à ses côtés qui avait alimenté mon attrait plus que ses qualités d’interprète et, le temps passant, j’estimais avoir passé l’âge de ce genre de projets imaginaires.
J’ai même laissé passer une première occasion de retourner l’écouter dans les années 2000. Ma compagne d’alors, connaissant mes sentiments pour elle, m’y a  d’ailleurs encouragé, mais je n’ai pu m’y résoudre.
J’ai eu le sentiment qu’en m’y rendant, j’aurais alors commis une forme  d’infidélité.
Elle s’était d’ailleurs elle-même mise en couple depuis peu.
Au concert suivant (elle aimait décidément beaucoup ma ville !), j’étais retourné à une vie de célibataire, mais je n’ai pas plus succombé à l’appel de son clavier ou de son magnétisme: le songe avait pour moi définitivement pris fin.

Et voilà que cette année, elle revient à nouveau!
Dans un premier temps, j’ai décidé d’ignorer activement cette nouvelle visite. Et puis, l’idée a fait son chemin. J’ai repensé à ce sentiment mystérieux et puissant, enfoui depuis près d’une décennie.
Est-elle mariée ? Vit-elle toujours avec sa ménagerie ?
Qu’importe ! Si réellement elle est, comme je l’ai autrefois imaginé, la Femme de ma Vie, je ne peux refuser indéfiniment un appel du Destin.
Et qui sait ? Peut-être sa volonté répétée de revenir jouer à Genève est-il un appel dans ma direction ?
Renseignement pris, non seulement elle n’est plus en couple depuis 3 ans, mais elle a abandonné les États-Unis et son parc animalier pour venir s’installer… oui, oui : en Suisse.

Je rêve à nouveau.
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dimanche 17 juillet 2011

De la difficulté à reconnaître ses amis (3).

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Ma brouille avec Cédric est consommée.

Pendant plusieurs jours, j’ai eu l’espoir que nous réussirions à résoudre notre différent.
Nous avions décidé  de nous voir face à face  pour en discuter de manière calme, mais je n’ai pas réussi à le joindre pendant plusieurs jours.
Puis il m’a proposé de passer chez lui en son absence chercher du courrier qu’il avait réceptionné en Provence.
J’ai refusé cette option et il m’a alors annoncé qu’il passerait au magasin.

Au moment dit, il a proposé qu’on se voie au bureau en tête-à-tête, ce qui n’était pas une bonne idée, vu que c’était mon territoire et un lieu restreint, mais j'ai accepté.

Il m’a alors annoncé de manière très sèche que ce n’était plus la peine de se prendre la tête et qu’il me rendait les clefs de la maison. Nous pourrions toujours rediscuter de sa venue ou non dans ma maison dans quelques mois.
Trouvant cette position un peu sommaire, j'ai fait une tentative de rationalisation :

« Tu estimes donc toujours que je te dois un plein d’essence pour chaque fois que tu me prêtes ta voiture et que tu ne me dois rien pour la maison, le chauffage ou l’usage du téléphone ?

- Si tu veux on rediscutera d’un arrangement où tu me paieras l’essence, et en contrepartie tu me compteras un loyer, la somme que tu voudras. Pour ma part, je ne ferai plus le ménage, plus le jardinage et je ne te ramènerais plus ton courrier. »

J’étais abasourdi.

« Et tes colères à répétition, ça te parait un comportement normal ?

- C’est vrai que j’ai tendance à m’emporter, mais il y a de quoi. »

A ma demande, il me rappela l’origine du dernier « pêtage de plombs » qu’il me fit dans la maison.
Cet après midi-là, il était parti faire une longue balade et j’étais resté seul dans la maison à préparer des commandes pour le magasin.
Je m’étais installé dans la cuisine avec mon ordinateur portable et des catalogues étalés sur la table de la cuisine.

A son retour, il m’annonce très rapidement qu’il va commencer à préparer le dîner.

« C’est bon, je lui réponds, je n’en ai plus pour très long. »

Et donc, pendant qu’il commence à sortir les ustensiles et à couper les premiers légumes, je tente tant bien que mal de rester concentré sur mon travail.
Les minutes passent, et je m’aperçois dans un brouillard que la préparation du repas est déjà bien avancée.

« Tu t’occupes de tout ? » je lui fais.

Et là, il frappe violemment la poêle sur la cuisinière :

«  Bien sûr que je m’occupe de tout ! Y en a marre à la fin ! Je ne suis pas ta bonniche !

- Oh là, mais qu’est-ce que t’as ?

- Depuis le début, tu comptes toujours sur moi pour faire les repas, faire les courses, faire le ménage, y en a marre ! Et puis, tu ne me parles pas sur ce ton !

Déjà que ses reproches n’étaient pas juste, mais je tentais de lui expliquer que s’il avait perçu une once d’agressivité dans ma remarque, c’était uniquement parce que j’avais été déconcentré dans mon travail, et que son activité intrusive m’avait perturbé, mais l’intention de ma question initiale visait seulement à proposer mon aide, et non à lui adresser un reproche.
Rien n’y fit : j’étais coupable de tous les maux de la Terre.
Je battis rapidement en retraite, et m’installai dans ma chambre.

Je fus tellement secoué par la violence de ses reproches que je dînai seul à la cuisine (et lui devant la télé), et je ne lui reparlai pour ainsi dire plus du séjour, qui prenait fin le lendemain.
Je lui aurais demandé qu’il parte sur le champ à Genève, mais j’aurais alors été bien embêté sans voiture.

Au final, le différend que j’ai eu avec Cédric semble venir du fait que j’ai été trop généreux avec lui. Je lui ai proposé de lui prêter ma maison autant de fois qu’il le désirait, quasiment sans restriction : j’ai même une fois déplacé une de mes visites pour accommoder une des siennes.
En retour, je lui ai emprunté sa voiture, nais pas de manière systématique dans la mesure où j’ai alterné entre la sienne et celle de Bridget.
Du coup, à vouloir lui faire sentir qu’il était chez moi comme chez lui… il a fini par se comporter comme s’il était chez lui, et c’est moi qui, dans certains cas, devenait l’intrus !

Cet incident démontre en tout cas que lorsqu’on est propriétaire d’une maison, il est tout-à-fait honorable de vouloir la partager avec son entourage, mais il faut savoir se faire respecter de ses invités et savoir en rester le maitre.

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dimanche 20 mars 2011

De la difficulté à reconnaître ses amis (2).

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Je suis radin.

Suite à cette accusation, je suis resté sans voix.

J'ai été  incapable de la moindre activité pendant une bonne heure. J’ai même envisagé de rappeler Cédric illico pour lui dire :
 «  Fais demi-tour et rends-moi les clefs de la maison. »
Mais je me suis retenu, préférant me laisser une journée de réflexion.

Le lendemain, je lui ai proposé de se racheter par téléphone. Je lui ai demandé de retirer sans attendre son accusation de radinerie. Sa réponse:

«  Bien sûr que tu n’es pas radin. Quand je t’ai dis: « Tu es radin », je…

- Tu viens de le redire.

- Quoi ?

- Tu viens de dire. « Tu es radin. »."

Je n’allais pas lui offrir la moindre marge de manœuvre sur ce point.

" Quoi ? Mais non, je n’ai pas dis que tu es radin. Je te disais que quand j’ai dit « Tu es radin »…

- Je veux t’entendre dire que je ne le suis pas, et tu ne fais que répéter que je le suis!

- Non, mais tu comprends quand même que quand tu me rends la voiture avec un réservoir vide…

- Et le fait que tu m’aies prêté deux fois ta voiture avec un réservoir vide, ça te parait normal ?

- Mais puisque je te dis que je ne l’utilise jamais ! 

- Et tu n’arrives pas à comprendre que j’aie pu imaginer que tu avais fait exprès ? Que tu attends de moi que j’assure le plein de ta voiture au-delà de son utilisation ?"

Lui:
" Alors là, tu exagères ! Si c’est comme ça, on ne descendra plus ensemble en Provence et puis c’est tout !"

C’est moi, ou il a vraiment atteint le fonds à ce moment-là ? 
De son point de vue... je ne suis plus le bienvenue dans ma propre maison!

" Cédric, j'ai établi  une règle simple : je te prête la maison en échange de ta voiture.
A aucun moment il n'a été question que je te paye un supplément d’essence. Mais bon, on ne pas en discuter plus longtemps : si tu n’es pas content de cet arrangement, tu remballes tes affaires et tu rentres à Genève, ok ?"

Lui:

"Ce n’est pas la peine de t’énerver : on en reparlera face à face à Genève."

Bilan de cet échange : il ne s’est jamais formellement excusé, et surtout, il n’a pas dévié de sa position.

Pour moi, la faute la plus grave reste que, depuis plusieurs mois, chaque fois que j’ai envisagé de descendre en Provence, c’est avec la peur de son prochain éclat de voix, et qu’il ne donne jusqu’ici aucun signe de vouloir changer d’attitude.

J’ai à présent décidé de la suite des évènements : si à son retour il ne s’excuse pas de manière très claire, je lui réclame les clefs avec effet immédiat et retire mon invitation à séjourner dans ma maison de manière permanente.
Si par contre il fait un mea culpa sans équivoque et sincère,  je lui soumets des règles non négociables pour la suite. 

Il doit me garantir :

° qu’il ne me réclamera plus de dédommagement pour l’essence, qu’il n’en fera même plus mention, même si je pars avec un réservoir plein et je rentre avec un réservoir vide ;

° qu’il s’engage à se comporter de manière égale et civile pendant nos séjours en commun ;

° qu’il ne me reproche plus jamais mes habitudes alimentaires ou mes fatigues de fin de journée ou mes envies de faire ou non des activités avec lui.

Si un seul de ces points lui pose un problème ou n’est pas respecté, alors je mets définitivement fin à ce qui était de fait une invitation permanente et quasi inconditionnelle à profiter de ma résidence secondaire.
Peut-être n'en est-il pas capable, mais qu’y puis-je ?

Et on en revient tout naturellement au sujet premier de cette série : ma difficulté à avoir des amis et à les conserver.

Si les choses se déroulent maintenant comme je le prévois,  je perdrai un ami de plus.
Ou peut-être juste l’illusion d’un ami.


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De la difficulté à reconnaître ses amis (1).

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En 2005, j’ai acheté une petite maison en Provence, le premier achat de ce type que je faisais de ma vie.
J’ai rapidement ressenti la frustration de ne pas pouvoir faire profiter celle-ci à plus de monde que ma famille immédiate, ma mère et ma sœur aînée, et… à des amis.
J’étais donc prêt à la prêter, mais… à qui ?

Une occasion s’est présentée lorsque j’en ai parlé à une connaissance du magasin, Cédric, que je connaissais depuis les années 80s et qui avait travaillé quelques temps pour moi.
La proposition se présenta en ses termes : serait-il d’accord de me prêter sa voiture de temps en temps contre une mise à disposition de ma maison pour lui et ses proches?

Il fut d’autant plus ravi de cette demande qu’il n’utilisait pas régulièrement sa voiture et que de fait, il put dès lors profiter de ma modeste demeure plusieurs fois par année.
Il s’y rendit parfois seul, parfois avec sa compagne et son fils, et y invita même une fois des amis.
Je me joignis à certaines de ces virées, 4 ou 5 fois en tout, et seulement lorsqu’il ne jugeait pas ma présence inopportune, et de fait une seule fois en présence de son fils.
J’eus l’occasion de me rapprocher de quelqu’un que j’appréciais par ailleurs, mais pas de façon vraiment spectaculaire : nous ne nous voyions réellement que pendant ces brefs séjours.

Le problème est que pendant presque chacun d’entre eux, il me gratifia d’au moins un coup de gueule majeur.
Il me reprocha par exemple dès le début de ne pas assez participer à la préparation des repas. Il y avait de ma part une raison simple à ce développement, c’est qu’il avait tendance à prendre l’initiative de les organiser. De plus, j’avais pris l’habitude de limiter mes repas du soir, ce qui pour lui, était inacceptable.
De mon côté, je constatais assez rapidement qu’il laissait presque systématiquement sa vaisselle sale après tous les repas, petit déjeuner compris. Je décidais de ne pas m’en offusquer et m’efforçai dès lors de me charger au mieux de cette corvée au quotidien.
Je fus du coup raisonnablement surpris par son grief insistant concernant la préparation des repas, tâche que j’appréciais bien plus que la vaisselle !
Il se fâcha aussi à répétition lorsque, vers 22 h ou plus, je le laissai finir seul le visionnage d’un film le plus souvent choisi par lui.

La dernière dispute en date dans la maison fut tellement violente que non seulement je ne lui adressai plus la parole jusqu’au jour suivant (je comptais sur son covoiturage pour rentrer à Genève) mais… je fus par la suite totalement incapable de me souvenir de l’origine de cet éclat intempestif.
Je me souviens juste de l’intense sentiment d’injustice que j'ai ressenti pendant cette tempête vocale : Cédric était mon invité, j’étais chez moi, c’était moi qui fixait les règles du séjour et pas lui !
Je comptais mettre les choses au point avec lui à Genève, mais comme le « black out » mental persistait, je me retins et décidais d’attendre la prochaine occasion… qui ne manquerait pas de se présenter.
Je précise que mon hésitation à l’époque venait aussi de ce que je ne souhaitais pas risquer une rupture définitive avec lui, et espérais pouvoir calmer les choses.

En décembre dernier, je sollicitai une fois de plus sa voiture pour une virée provençale.
Au moment du départ, j’eus la mauvaise surprise de découvrir que le réservoir d’essence était complètement vide!
Je songeai à l’appeler sur le champ pour lui passer une bordée, mais me ravisai.
Je remis tout de même 5 litres pour ne pas le laisser dans un embarras équivalent, mais… pas plus.
De façon assez prévisible, il me reprocha par la suite de ne pas avoir fait le plein et j’optai à ce moment de ne pas chercher à trop justifier ma position.

Au début de ce mois, je l’appelai à nouveau pour emprunter sa voiture et il me répondit :

« Pas de problème, mais tu penseras à mettre de l’essence ? »

Je savais déjà ce que cela sous-entendait et, sans aucune surprise, le réservoir était de nouveau quasi vide. Au retour, je décidai que je remettrai de nouveau  juste un peu plus d’essence que ce qu’il m’avait laissé.

Sa réaction ne se fit pas attendre, lorsqu’il la reprit quelques jours plus tard, en route à son tour pour la Provence :

« Espèce de salaud, le réservoir est complètement vide (ce qui était faux, mais de peu, je l’avoue). Tu aurais pu me faire le plein !!!

- Ecoutes, Cédric, si tu me prêtes une voiture « vide », ne comptes pas sur moi pour te faire le plein.

-  D’abord, je ne l’ai pas fait exprès et quand on se fait prêter une voiture, la moindre des choses est de la rendre avec un plein !

- Oui, sauf que je te prête, moi,  la maison et je ne te demande pas de participation pour le chauffage. De plus, lorsqu’en août dernier, j’ai reçu une facture de téléphone de 80 Euros alors que je n’étais même pas dans la maison, je ne t’ai  rien réclamé.

- Mais ça n’a rien à voir !!! Et le ménage que j’ai fait, et le jardinage que tu n’as même pas eu la présence de remarquer !! Ça, bien sûr, ça ne compte pas. Je suis désolé de te le dire, mais tu es radin!

Et là-dessus, il me raccroche au nez, remonte dans sa voiture et passe les quatre jours suivant… chez moi.
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 Mars 2011. Quelque part sur l'Autoroute de Sud. France.