samedi 15 mai 2010

Il est né, le divin Hydrocéphale.

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Je suis couché sur une surface dure et froide.

Une infirmière m’a préalablement demandé de me déshabiller jusqu’au slip et a vérifié que je n’avais aucun objet métallique sur moi. ni prothèse, ni pace-maker.

J’ai un peu froid, mais c’est supportable.
L’infirmière me demande si j’ai froid, et je réponds que non. Je regrette presque immédiatement, parce qui si je dois rester couché là et immobile plus qu’une demi-heure –et c’est effectivement prévu- je finirai par avoir froid.
Elle revient quelques minutes plus tard et m’explique la nature de l’examen que je vais subir. Elle me propose des tampons pour les oreilles, car ce sera assez bruyant. Je les accepte bien volontiers. Puis elle me suggère un calmant léger.

« Certaines personnes en ont besoin. Ca les aide à se détendre et à supporter l’immobilité totale. »

« Non, non, ça ira, merci. »

Zut. Et si ça ne va pas ?

« Vous n’êtes pas claustrophobe ? »

« Non, pas du tout. »

Si, un peu.

«Et vous êtes sûr que vous n’avez pas froid ? »

« Non, non. »

Alors qu’elle s’éloigne, je me vois partir à sa poursuite :

« Si, si, j’ai froid. Qu’est-ce que vous proposez ? »

En attendant son retour, je rumine des versions alternatives, et quand elle réapparait, c’est pour m’annoncer :

« On va y aller, alors. Vous êtes prêts ? »

Non, j’ai froid. Je ne suis pas bien installé. Je suis fatigué et j’ai faim et soif. Je sens venir une envie de pisser.

« Je peux avoir de la musique pendant l’examen ? »

Elle me sourit et me fait non de la tête.

« Vous aurez un miroir au-dessus des yeux qui vous permettra de voir le local et si vous avez le moindre problème, vous actionnez cette poire. » Elle me la place dans la main, je l’écrase pour voir : une sonnerie retentit.

« Mais si vous le faites, ça mettra effectivement fin à la séance. Il faudra tout arrêter et peut-être fixer un nouveau rendez-vous. Vous êtes bien installé ? »

J’acquiesce.

Elle repositionne ma tête et l’immobilise avec des sangles, puis place deux gros plots très fermes contre mes tempes.

« Je pourrais bouger les pieds pendant la séance ? »

«  Il vaut mieux pas. »

« Et me gratter le nez ? Ou éternuer ?

«  Si vous devez le faire, faites-le maintenant. »

Je me dis que finalement, si ça échoue, ce n’est pas si dramatique que ça. On recommencera une autre fois.

« On y va, alors. A tout à l’heure. Courage. »

Pourquoi, « Courage » ?

Suit un long silence.
Grâce au miroir au-dessus de moi, je la vois derrière une baie vitrée, s’affairer avec un technicien. Ou peut-être les deux se préparent-ils une soirée en amoureux.
Ils semblent en tout cas m’avoir complètement oublié.

La voix de l’infirmière retentit soudain dans un haut-parleur, avec un écho métallique :
« Vous êtes prêt ? »
Non, en fait je pensais sortir me promener, tout sanglé et immobilisé dans mon carcan.

Et ça commence :
DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG. DONG.

Comme ça pendant presque deux minutes, puis un silence assez long, et ensuite :
BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM. BOM.

De nouveau un long silence, puis une nouvelle séquence de bruits de plus en plus forts. Je commence à compter les secondes, ayant déterminé que chaque séquence sonore dure entre une minute et deux minutes trente.
J’imagine que chaque séquence est une nouvelle création techno, mais ça n’aide pas.

BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE. BITE.
Ecrit, c’est bizarre, mais c’est vraiment comment sonne une des séquences.

CUL. CUL. CUL. CUL….
Non, là, je déconne.

Sans m’en rendre compte, au bout de la quatrième ou cinquième session, j’entame des exercices de mâchoire, puis je commence à me frotter le crâne contre les plots. Mais, du coup, j’ai certainement bougé!
Je m’attends à tout moment à ce que l’infirmière vienne m’annoncer que tout est à refaire, mais elle ne vient pas.
Une des pauses s’éternise.
Sa voix  retentit à nouveau :

« On a fait la moitié. Ca va toujours ? »

« Oui, oui » je fais, mais je ne sais pas si je suis entendu.

Puis de nouveau :
ROM DOM DOM DOM DOM DOM DOM DOM ROM DOM DOM DOM DOM DOM DOM DOM DOM….

Je repense au diagnostique de la neuropsychologue quelques jours plus tôt : des accidents cérébraux en cascade.
Mon esprit se désagrège graduellement, se disperse dans le néant, portion par portion.
Je ne serai bientôt qu’un légume.
Ou j’ai peut-être une tumeur qui grossit, grossit, grossit.
Il ne me reste peut-être que quelques semaines à vivre. Peut-être même moins.
Un gros coup de stress, un anévrisme, et hop, c’est fini.
Peut-être ne survivrai-je pas à cet examen ?

PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING PING
Et puis y en a marre.
J’ai des fourmis dans les pieds. Je commence à les frotter l’un contre l’autre. Du coup, tout me corps se tortille. 
J’ai foiré la séance, c’est sûr.
De nouveau un long silence, puis de nouveau la voix :

« C’est fini, je vais venir vous libérer dans quelques instants. Détendez-vous. »

Cinq minutes plus tard, je me rhabille, et l’infirmière m’annonce que je pourrais  examiner les images de l'IRM avec le technicien.
Celui-ci vient bientôt me chercher en salle d’attente.

« Alors, qu’est-ce que ça donne ? » je demande.

- Vous avez été parfait. Les images sont très nettes.

- Vraiment?

Je suis honnêtement très surpris.

Il me montre des formes abstraites noires et blanches sur des larges feuilles de pellicule plastique. Je désigne une large zone toute noire :

«  C’est mon cerveau, ça ?

- Tout-à-fait. Enfin, non, là c’est du vide. Enfin, pas du vide : du liquide encéphalique. De l’eau, quoi. Votre masse cérébrale est ici »

Et il montre une bande pas très large, plus claire, sur les côtés de la feuille.

« Ca ? Mais y en a très peu ! »
Je n’arrive pas à y croire.

«Votre cerveau a accumulé toute cette eau qui normalement s’évacue par le cuir chevelu. Chez vous, elle ne s’évacue plus, alors l'eau s’accumule,  s’accumule, poussant la masse cérébrale contre les parois. Vous avez des maux de têtes fréquents ? »

J’acquiesce.

« Ce n’est pas étonnant. Depuis longtemps ?

- Quelques mois, deux ou trois ans peut-être. Du coup, c'est grave?

- Non, ça s'opère. Mais à votre âge, il ne faut pas espérer une amélioration. Ce qui est perdu est perdu. On peut par contre stabiliser le processus. Empêcher qu'il ne s'aggrave.

J'ai du mal à intégrer toutes ses informations. C'est trop, trop vite.

- Et donc, la cause de mes maux, ce ne sont pas des accidents cérébraux ? Je pensais voir des tas de petites tâches.

- Des accidents ? Ah non, pas du tout. Qui vous a parlé de ça ?

- Une neuropsy. Mais alors, j’ai quoi ?

- Vous ? Vous êtes hydrocéphale. Enfin, vous êtes atteint d’hydrocéphalie.

Je suis  hydrocéphale.
De retour dans la rue, j’hésite entre aller boire un thé et reprendre le travail.
Je n’ai pas le cœur à ruminer. J’opte pour le retour au magasin.
J’ai des vertiges et je manque à tout moment de tomber.

Je suis hydrocéphale.
Il y a beaucoup de circulation.
C’est le début des soldes d’été et  des départs en vacances. Ca se bouscule un peu partout.
Beaucoup d’enfants particulièrement, des familles. Des couples amoureux. Des gens qui s’affairent et se pressent en tous sens.

Je suis hydrocéphale.
Ma vie s’arrête là. C’est terminé.
Il n’y a pas de réelle guérison. Pas de retour en arrière.

Je suis hydrocéphale.
J’essaie de me convaincre que c’est un rêve.
Je vais bien. Je respire, je marche. Je pense, donc je suis.
Hier, je me suis baigné au lac. J’ai mangé un banana split avec Celia. On a été au cinéma. On a dormi. On a fait l’amour. Et demain, on le refera sans doute.
Ma vie n’est pas finie.
La chanson n’a pas changé.

Si, elle a changé. Elle a un nouveau refrain.
 Je suis hydrocéphale.
Je n’ai plus qu’à en réécrire les couplets et à vivre avec.

Je suis hydrocéphale.

Je suis hydrocéphale.

Once more, with feeling.

4 commentaires:

  1. EXTRA!
    C'est drôle et émouvant à la fois.
    Et ça fait un peu peur aussi...

    Tu es hydrocéphale.

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  2. Déjà?

    Je viens de modifier un bout de la fin, qui manquait. :/

    Merci du commentaire! Du coup, je dormirai plus facilement. ;)

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  3. Effectivement, comme dit Bridget: très touchante comme note où on vacille entre le rire et les larmes.

    Hésite pas à dire si tu veux mettre ta chanson en musique :-)

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  4. Une musique qui ferait:
    PING PING PING PING DONG DONG DONG DONG BITE BITE BITE BITE PONG PONG PONG PONG DING DING DING DING TOC TOC TOC TOC PING PING PING PING DENG DENG DENG DENG PIC PIC PIC PIC PIC

    Tenez-moi au courant, si jamais ça devait sortir un jour :-D

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