jeudi 11 mars 2010

Abandon

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J’ai sept ans. C’est l’été, et à cette époque, les après-midis ensoleillés sont invariablement consacrés à s’ébattre sur une grande plage à l’extérieur de Biarritz, à une vingtaine de kilomètres de notre maison de vacances. Du sable fin et des vagues à perte de vue.

Ce jour-là, j’ai été confié à la garde de ma tante Léontine, et mes cousins Hector et Jules sont mes compagnons de jeu.
Nous terminons de construire des châteaux éphémères mais grandioses quelques mètres à l’écart de notre parasol lorsque ma Tante vient annoncer le départ.
J’ai du sable plein le corps, et je me rue donc vers la mer pour m’en débarrasser.

Que l’eau est fraîche, quel délice !
Couché de tout mon long dans vingt centimètres de bonheur salé, je me mets à rêver à des vacances sans retour, une éternité de châteaux de sable et de bains dans les vagues, ponctuée peut-être par quelques beignets-abricots.
La belle vie !

Mais les rêves n’ont qu’un temps, et je retourne à contrecœur vers le point de ralliement.
Cette rêverie à dû se prolonger quelque peu, car j’ai dépassé l’emplacement de notre parasol et de nos serviettes. Ou alors j’ai dévié de ma course.
Je rebrousse donc chemin, pris d’une légère inquiétude, qui ne cesse de grandir.
Pas de panique !
Notre parasol est bleu et vert, je vais le repérer facilement. Mais je ne vois aucun parasol bleu et vert.
Je cours à présent vers l’endroit où j’imagine que nous étions, et me retrouve bientôt les pieds dans l’eau.
Je ne reconnais plus rien. Je tourne dans toutes les directions, d’abord à la recherche de ce fichu parasol (aucune trace), puis d’un repère familier. Toujours rien.
Même nos châteaux de sable ont mystérieusement fondu, sans nul doute avalés par la marée.

La suite est plus floue: j’ai dû arpenter la plage plusieurs fois dans les deux sens, un coup à gauche puis un autre à droite avant de conclure que j’avais été mystérieusement déporté à une grande distance de mon départ, car je ne reconnais absolument plus rien : aucun individu, aucune des structures qui longent la plage, rien.
Je sais que je me suis finalement résigné à parcourir la plage dans une direction unique, essayant inlassablement de reconstruire les évènements qui ont pu conduire à la disparition totale du parasol, de ma tante et de mes cousins. J’envisage même le pire : j’ai été abandonné!

Et là, c’en est trop pour mon cerveau d’enfant. Il ne me reste qu’une seule ressource, la plus terrible : ouvrir les vannes des pleurs.
Ça a beau être complètement humiliant, c’est la bonne solution.
Un adulte me prend bientôt en pitié, et me conduit vers un surveillant de plage qui lui-même me dirige vers un poste central, où je pleure toujours comme un damné destiné à l’abattoir.
Je ne sais comment, j’ai soudain une énorme glace dans les mains. Je la dévore par grosses lampées, et mes pleurs se calment.

« Tu as perdu ta maman ? » me demande un des messieurs.

« Non, elle est pas là. » (Entre deux reniflements.)

« Ton Papa ? »

« Non, il est pas là. C’est ma Tante Léontine. »

« Tu habites chez ta tante ? »

« Non, chez ma Grand-Mère, Mme Lussac. »

« Ici à Biarritz ? »

« A Saint-Jean-de-Luz .

« Bon, ne t’inquiètes pas, on va les retrouver. »

Là-dessus, un des hommes s’absente, et quand il revient, il m’annonce :

« C’est bon, on l’a eue au téléphone, elle vient te chercher. »

« Vous avez parlé à Grand-Mère ? »

« Non, à ta Tante. »


Elle était rentrée à la maison sans moi.


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Tournage des "Derniers Jours du Monde" des frères Larrieu sur la Grande Plage de Biarritz. Août 2008.

5 commentaires:

  1. Les surveillants des plages sont des Superman!

    Quelle histoire!
    Quel traumatisme que d'être abandonné ainsi... Combien de temps auraient-ils tous mis avant de se rendre compte de ton absence?

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  2. Ben je sais pas. J'ai toujours pensé qu'entre la dernière fois où j'ai vu ma Tante sur la plage et le moment où elle est rentrée à la maison, il ne restait pas beaucoup de temps pour qu'elle me cherche sur la plage.
    J'ai toujours imaginé (parano ultime) qu'elle ne me voyait plus, et s'est dit: "Il n'est pas là? On rentre sans lui." Entre le nord de Biarritz (pas Ilbaritz) et St Jean, départ de la plage compris, il faut bien 50 mn, voire une heure, le temps approximatif de mon trip en solitaire.
    Maisd celui-ci a peut-être duré 2 heures aussi. Je ne sais pas.

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  3. Je ne pense pas qu'ils ont quitté la plage sans remarquer mon absence: nous n'étions que 4 ou 5 au total... il me semble.

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  4. Elle n'a pas pu t'oublier exprès, ce n'est pas possible...
    Imagine juste une jeune mère crevée, débordée, qui a l'habitude de compter ses propres poussins... Elle t'a oublié, mais par "habitude"
    pas par méchanceté.

    Aurais-tu le complexe du Petit Poucet ?
    :D

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  5. "Elle n'a pas pu t'oublier exprès": je lui demanderai. ;)
    Une option, c'est qu'elle me trouvais plus, ne savais pas quoi faire, et s'est dit qu'elle allait d'abord ramener "ses poussins" avant d'aviser plus loin.
    A mon avis, c'est impossible que soit elle soit un des cousins n'aient pas dit à un moment: "Il manque quelqu'un!"

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