samedi 6 mars 2010

Mémoire fuyante.

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Lorsque j’avais 20-25 ans, je prenais un malin plaisir à mémoriser une multitude d’informations, notamment sur le Cinéma.
Je connaissais la filmographie de tous les acteurs, même les plus secondaires, des metteurs en scène, des producteurs, des directeurs de la photo, des décorateurs, etc…
Puis, arrivé à la trentaine, j’ai remarqué que parfois j’avais du mal à formuler certains titres de films un peu obscurs, ou des personnalités dont on ne parlait pas forcément tous les jours.
Quelques années plus tard, vers 40 ans, je me suis un jour remémoré des films que j’avais beaucoup aimé des années plus tôt, et je me suis rendu compte que j’étais totalement incapable de me rappeler les noms de leurs réalisateurs !
C’était particulièrement inquiétant pour moi, car il ne s’agissait pas là d’informations d’importance secondaire, mais d’éléments qui définissaient mon identité culturelle intime.
Pour information, ces fameux metteurs en scène oubliés étaient John Landis, dont j’avais adoré « The Kentucky Fried Movie », « Animal House », « The American Werewolf in London », et « Into The Night » (tous vus entre 1978 et 1985), et David Lynch pour lequel j’avais conçu une véritable obsession à l’époque de « Twin Peaks » (entre 1989 et 1992).
(Note : Je me suis aidé ici en consultant imdb.com pour les titres et les dates ! ;) )

A partir de cette période, mes oublis ont pris d’autres formes: plusieurs fois, en rentrant chez moi, j'ai été incapable de me rappeler le code de mon immeuble. J'ai fini une fois par tapoter le clavier de manière aléatoire, jusqu’à ce que ma main retrouve le souvenir physique des emplacements.
Depuis cette période, ce code est inscrit dans un agenda qui ne me quitte jamais.

Un jour, en classant des papiers bancaires, j'ai découvert la trace d’un retrait important opéré sur mon compte personnel deux mois plus tôt.
Comme je n’en gardais aucun souvenir, j’ai conclu que je ne l’avais jamais effectué.
Je me suis donc rendu à ma banque pour éclaircir cet incident potentiellement frauduleux et, face à ma détermination, le caissier a produit une copie du retrait, portant ma signature.
Sur le coup, j’ai accusé la Banque d’avoir fabriqué un faux, avant de faire marche arrière, soudain conscient de l’invraisemblance de cette accusation.
Dans les jours qui ont suivi, j'ai continuai à ruminer cette histoire, cherchant à rétablir la probable continuité des évènements qui avaient justifié ce retrait.
J'ai fini par retrouver un reçu postal qui attestait d’un paiement effectué le même jour pour une somme quasi équivalente.
Je n’en gardais toujours aucun souvenir, sinon… vaguement le sentiment d’avoir récemment attendu à la Poste avec une grosse somme en poche.

Un dernier incident déterminent eut lieu à mon magasin : je reçois depuis des années la visite quasi-hebdomadaire d’un ancien employé que je considère presque comme un ami, et un jour je l'ai salué comme à l’accoutumée, sauf… que j’étais incapable de me rappeler son nom. Pour me couvrir, j’ai donc enchainé mon « Salut…. » par «… Charles ? Victor ? Édouard ? Marcel ? Daniel ? Pierre ? Jean… » et j'ai remarqué que son expression à chané lorsque j'ai dit « Marcel ». J'ai donc dès lors su qu’il s’appelait bien Marcel.
Je me suis empressé de lui expliquer que j’étais sujet depuis quelques temps à des trous de mémoires et que je n’étais pas en train de lui monter un canular.
Nous avons continué à bavarder de choses et d’autres pendant un quart d’heure, et pendant tout cet échange, je répétais dans ma tête : « Marcel… Marcel…. Marcel» en associant ce prénom à la personne que j’avais devant moi… et ça ne connectait toujours pas.
Plus tard dans la soirée, j’ai renouvelé mentalement l’exercice, et tout doucement, ça a commencé à revenir.

C’est à partir de ce jour-là que j’ai décidé de m'occuper sérieusement de ce problème.
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Ile Rousseau, Genève. Décembre 2007.

3 commentaires:

  1. La photo illustre bien ton propos ;-o

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  2. C'est bizarre, hein?
    A chaque fois que je poste un texte, j'essaye de mettre une photo qui irait bien avec, et là, c'était celle-là.
    Je ne sais pas pourquoi.

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  3. En fait oui: l'arbre est comme un cerveau dont s'échappent des données, ou des cellules...
    Je vois ça maintenant.

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