mercredi 2 mars 2011

Âge d'or, Âge de raison.

.

J’ai eu l’occasion de revoir une émission diffusée en 2010 par Arte : « L’Âge d’Or de la Musique de Films. 1965-1975. » de Thierry Jousse et Nicolas Saada.  Lors de sa première diffusion, elle m’avait apporté une satisfaction instantanée, pour la reconnaissance d'une de mes passions chéries par un média reconnu et respecté.
Ce n’est d’ailleurs pas une première de la part d’Arte, qui a déjà diffusé de très bonnes émissions consacrées à la musique hollywoodienne, à Herrmann, à Morricone, Korngold et celle-ci ne détonne pas trop, avec ses entretiens avec les Géants que sont feu John Barry, Michel Legrand et Lalo Schifrin, mais aussi Quincy Jones et un compositeur nettement plus obscur, l’allemand Peter Thomas.

Ceci dit, dès le démarrage, première source d’irritation avec l’intitulé « Âge d’Or (…) 1965-1975 ». En matière de Musique de Films, l’Âge d’Or, c’est les années 40 à 50 ! En 1960, c’est « l’Âge d’Argent » (« Silver Age ») qui commence. Alors, bien sûr, cette dénomination est plus communément admise en anglais qu’en français, mais l’affront ne s’arrête pas là, car selon les commentateurs, qui a précédé leur « Âge d’Or » ? Max Steiner et Elmer Bernstein.
Double boulette, car la carrière de Bernstein démarre réellement en 1955 avec THE MAN WITH THE GOLDEN ARM, un des scores fondateurs du Silver Age et va surtout s’épanouir dans les années 60.Cette bévue est d'ailleurs partiellement rectifiée par la mention de ce titre essentiel.

Ensuite, réduire le véritable Golden Age au seul Steiner, c’est un peu court. Où sont passés Bernard Herrmann, Miklos Rozsa, Erich Korngold, Dimitri Tiomkin, Alfred Newmann, etc… ? On entend ensuite que la particularité du Golden Age décidé par les auteurs est sa forte proportion d’européens. Sauf que c’est aussi notoirement celle de la génération précédente, majoritairement faite d’émigrés européens, ou d’américains de fraiche date, et donc forcément influencée et formée par une culture musicale européenne.
La différence à partir de 1960 est qu’Hollywood a d'avantage  recours à des européens qui conservent leur spécificité européenne, qui travaillent parfois même (comme Morricone) sans jamais mettre les pieds à Hollywood.

Une source supplémentaire d’irritation importante, c’est lorsque l'émission aborde (allez savoir pourquoi) le sujet des musiques refusées et remplacées, phénomène qui n’est pas propre à cette période, mais qui c’est peut-être intensifié depuis. Michel Legrand raconte comment sa musique pour ROBIN AND MARIAN de Richard Lester a été refusée pour une autre, « vraiment abominable, horrible ». A cela, les auteurs du documentaire opposent une intervention de John Barry (qui se trouve être l’auteur du désastre dénoncé par Legrand) qui se justifie en expliquant que lorsqu’il reprend un film des mains d’un autre compositeur, il ne cherche pas à savoir ce qui s’est passé. Dont Acte.
Toujours est-il que même si l’anecdote de Legrand comporte sa dose de piment, au niveau humain, laisser paraître de tels propos est indigne des réalisateurs.

Pour information, on notera que Legrand (que j'aime beaucoup en tant qu'artiste) a été remplacé au moins deux fois par Barry, sur ROBIN… et sur THE APOINTMENT. Et au moins deux autres fois, complètement par John Williams (THE MAN WHO LOVED CAT DANCING) et partiellement par Charles Bernstein (THE HUNTER). Cela explique sans doute la violence de ses propos sur ce sujet.

Quant à John Barry, il a  été appelé plusieurs autres fois en remplacement d’un compositeur malheureux, déjà sur le premier  James Bond, DR NO (au détriment de Monty Norman), mais aussi sur the SCARLET LETTER, où il a remplacé un record de deux autres refusés, et pas des moindres, Elmer Bernstein et Ennio Morricone.
Presque tous les compositeurs de Musiques de Films ont depuis les années 60 vu leurs compositions refusées au moins une fois.

 Le documentaire d’Arte pêche surtout par omission, limitant principalement les compositeurs de leur Âge d’Or à ceux qui ont bien voulu, ou pu, être interviewés. Ainsi, Jerry Goldsmith, Alex North ou Leonard Rosenman (décédés avant 2010) ne sont jamais mentionnés. Ces deux derniers sont souvent crédités ailleurs pour l’apport du Jazz dans la musique de Film, et Rosenman pour l’introduction de la musique sérielle, deux étapes majeures pour briser les codes du véritable Golden Age. Morricone est lui par contre souvent mentionné –à raison – et son absence physique à l'émission est compensée par l’intervention d’une troupe qui joue ses musiques sur scènes. Pourquoi pas.

Et enfin, j’ai trouvé les « jeunes » intervenants de l’émission, le duo de Air, ainsi que David Holmes et Mike Patton, un tantinet prétentieux. Un des membres de Air se hasarde par exemple à supposer que Morricone a composé plus de 200 Musiques de Films pour des seules raisons alimentaires, alors qu'il est pour moi évident qu'il a souvent mis ses tripes dans ses compositions pour le cinéma.

De toutes façons, ce commentaire de Air m'apparait comme particulièrement méprisant envers un des artistes majeurs du 20ème siècle.

.

2 commentaires:

  1. J'ai vu une partie de ce documentaire. Pour moi qui ne suis pas un connaisseur, c'était plutôt agréable à suivre.

    RépondreSupprimer
  2. Oui, oui, très agréable.
    Je pense juste qu'en tant que "spécialiste", certaines choses m'ont irritées, mais c'est (presque) toujours le cas.
    Une des choses qu'on m'a rétorquée, c'est que "L'Âge d'Or" mentionné ici est celui des auteurs du documentaire, et non un "Âge d'Or" officiel, mais ce n'est dit nulle part.

    Quant au concept de "contamination" musicale, il est très intéressant, mais je soutiens que les compositeurs de cinéma n'ont pas attendu les années 60 (ou 65 même!) pour se laisser "contaminer".
    Du simple fait qu'ils composent pour des films racontant des époques et des géographies différentes, les compositeurs se sont laisser contaminer depuis les débuts.
    Hermmann par l'Asie ("Anna and the King"), Rozsa par l'Antiquité ("Ben Hur") ou le 19ème siècle ("Madame Bovary"), etc...

    RépondreSupprimer