mercredi 7 avril 2010

Ça n’arrive jamais.

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Il y a quelques années, je me rendais souvent à ma banque pour y trier la monnaie accumulée au magasin.
Depuis cette époque, j'ai appris à mieux la réguler, et mes visites y sont devenues plus rares.

Je versais donc la monnaie dans une machine qui, après l’avoir digérée, m’établissait un ticket que j’allais ensuite échanger au guichet contre des billets.
Seulement, plusieurs fois, le total de la machine ne correspondait pas à celui que j’avais établi au magasin.
Au début, je me suis dis que j’avais dû mal compter, mais à la longue, ça a fini par me contrarier. Et j’ai donc pris l’habitude de revérifier plusieurs fois mon total avant de m'y rendre.
A la première alerte manifeste, je n’ai eu aucun scrupule à me plaindre auprès de l'huissier de la banque qui m’a répondu, plein d’assurance :

« Ah ce n’est pas possible. La machine ne fait jamais d’erreurs.

- Et pourtant, j’ai rétorqué, il me manque cinq francs trente.

- Vous avez mal compté. C’est une machine. Elle ne fait pas d’erreurs.

-Et pourtant, je vous assure que si.

- Désolé, mais ce n’est pas possible. La machine ne se trompe jamais.

J’ai vraiment dû insister, parce qu’il a fini par me dire :

« Si vous voulez, on peut aller vérifier, mais ça ne sert à rien, elle ne peut pas se tromper.

- Vous me le proposez si gentiment.

Là, j’ai senti que je l’avais énervé, et à ce stade, j’étais partagé entre la certitude absolue que j’allais avoir gain de cause et la crainte qu’ "une fois de plus", la Machine aurait raison du misérable vermisseau que j’étais.
Le Concierge est allé chercher des clefs, s’est accroupi devant sa Majesté la Trieuse et, avec déférence, il lui a ouvert les entrailles :

« Vous voyez bien. La monnaie rentre par là, elle tombe dans les tubes, et elle ne peut pas aller ailleurs que…»

Sont soudain apparues des piécettes, qu’il a commencé à extraire, une à une : cinquante centimes d’abord, puis dix, puis vingt, et de nouveau dix, puis une pièce plus grosse de un francs, et même… une grosse pièce de cinq francs.
Et tout le long de cette recherche, le pauvre homme marmonne :

« Alors ça… pas possible. Mais… Comment est-ce… ? Mais non… »

En tout, il y en avait pour près de vingt francs de monnaies tombées… dans des endroits impossibles !
Une véritable orgie de triomphe!

J'aurais pu sauter les bras en l'air, tellement j'était ravi, et hurler, au milieu de la banque: "Adrienne! Adrienne!". Mais j'ai opté pour un triomphe modeste et discret:

« Alors, du coup, tout cet argent est à moi ? »

« Écoutez, je suis vraiment navré. » Cet Apollo Creed de la finance genevoise était tout déconfit, il faisait presque peine à voir. « Je n’y comprends rien. Ça n’arrive jamais. »

J’ai eu l’occasion de réclamer plusieurs fois par la suite, et la même chose est de nouveau jamais arrivée.

Plusieurs fois.

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 Genève. Janvier 2008.

1 commentaire:

  1. Ne jamais faire confiance à la technologie. Les gens sont aveugles. Il y a tellement de choses qui passent ou se font uniquement avec des machines. Y'a qu'à voir ce qu'il ce qui arrive avec Skynet...

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