dimanche 4 avril 2010

La Vieillesse et la Mort 2.

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Au début des années 90, ma mère a été soignée pour une dépendance à l’alcool et aux médicaments, et pour des crises maniacodépressives, une tendance chronique à passer d’états euphoriques à la dépression. Elle a été suivie dans un centre médicalisé pendant un peu plus d'un mois.

Suite à ce traitement, elle n’a plus fait de crises importantes, mais elle s'est retrouvée plus ralentie, moins vive, moins créatrice. Elle avait fait de la photo pendant des années, beaucoup écrit aussi.

Elle a continué à vivre de manière autonome, et ne nous occasionna, à mes deux sœurs et moi, plus de soucis comparables à ceux qui ont précédé sont bref internement.

Cependant, à partir de la fin des années 90 et surtout du début des années 2000, nous avons commencé à remarquer des éléments légèrement inquiétants dans son comportement.
Pendant l’été 2000, par exemple, lorsque j’arrivai à St Jean-de-Luz pour des vacances dans la maison familiale, elle nous accueillit, moi et ma compagne du moment, Estelle, non pas avec un « Bienvenue, avez-vous fait bon voyage ? » mais avec un « Quand est-ce vous partez ? » Et elle réitéra cette question pendant tout le séjour, plusieurs fois par jour, tous les jours.
Pendant ce même séjour, je remarquai que ces réflexes au volant étaient sensiblement ralentis : elle s’arrêtait souvent après un « stop » ou un feu et redémarrait avec du retard. A tel point que je proposai de prendre le volant les fois suivantes.
Par la suite, mes sœurs et moi, nous remarquâmes que le menu des dîners dominicaux avaient tendance à se répéter, et certaines fois, notre mère commettait des erreurs grossières, surcuisait le riz, ou mettait beaucoup trop de sel, ce genre de choses.
Un jour, elle eut un accident de voiture, l’état de sa voiture en attestait, et elle fut incapable d’expliquer où et quand il avait eu lieu.
Ma sœur aînée, Monique, qui est psychiatre, décida de lui faire passer une évaluation neuropsychologique.
Les résultats mirent à jour un état de démence avancé, et des examens neurologiques plus poussés une maladie de type Alzheimer.

Ce qui m’intrigua, lorsque je pris connaissance des questions posées lors du test neuropsychologique, c’est que je n’étais pas certain que je réussirais moi-même à répondre correctement à toutes les questions si elles m’étaient posées.
De plus, à cette époque, j’avais moi aussi été sujet à des absences, des trous de mémoires et des fatigues importantes.
J’ai finalement décidé de consulter un neurologue en juillet 2004, le Docteur Gunaz.
Après avoir écouté mes doléances, il me fit passer quelques tests basiques : marcher sur une ligne droite, effectuer des gestes nécessitant une certaine coordination ou une certaine agilité, suivre son doigt du regard, et…. Il en conclut :

« Je ne détecte aucun signe particulier qui confirme vos plaintes. Pour moi, votre état est tout à fait satisfaisant.

- Vous ne pensez pas que je devrais subir d’autres tests ?

- Vous voulez subir d’autres tests ? Quel genre ?"

Je lui fis part de l’histoire de ma mère et de son test neuropsychologique.

« Vous pensez à un neuropsychologue particulier ?

Je lui dis que non, mais j’aimerais subir ce test dès que possible. Il me fournit une liste de trois personnes à contacter.

Dix jours plus tard, je me retrouvai chez l’une d’elles, Carla Berni, qui me fit subir un test d’une durée d’une heure trente, consistant en des séries de questions évaluant ma mémoire verbale, visuelle, à court terme, à plus long terme. Elle me fit aussi effectuer différentes opérations, de complexités diverses, des exercices nécessitant une concentration prolongée. Elle me soumit un dessin constitué de formes géométriques simples qui, par certains aspects, faisait penser à une maison et par d’autres, n’avait plus de logique : des « fenêtres » placées de manière aléatoire et de formes impossibles, une « onde » qui partait d’un des côtés et se terminait par un râteau, ce genre de choses….

Je réclamai une pause après environ quarante minutes, puis une autre vingt minutes plus tard.
A la fin des tests, j’étais complètement épuisé : j’avais avalé une plaque entière de chocolat noir pendant les deux pauses et je pris deux aspirines avant de pouvoir entendre ses premières conclusions.

« Alors, comment je m’en suis tiré ?

- Pas trop mal.

- Mais encore ?

- Les résultats ne sont pas globalement alarmants, la plupart tout de même un peu en dessous de la moyenne pour un individu de votre âge. Il y en a néanmoins un ou deux qui méritent une attention particulière.

- C’est-à-dire ?

- Je vais être franche avec vous. Ces symptômes que vous avez mentionnés, ces absences, ces fatigues soudaines, celles que vous avez ressenties pendant ce test, ressemblent à des accidents cérébraux à répétitions. Des accidents mineurs, mais qui justifient à mon avis de vous faire subir au plus vite un IRM. Est-ce que votre neurologue vous en a commandé un ? »

Je fis non de la tête. Elle ne réussit pas une réprimer une surprise que j’interprétai comme : « Curieux neurologue. »

« Mais… ces accidents… je peux en mourir, non ? »

- Pas nécessairement. Je ne suis pas neurologue, vous savez. C’est à votre médecin de déterminer ce genre de choses.

- Mais vous disiez que mon état n’était pas grave…

- Et il ne l’est sans doute pas. Simplement, vous avez un cerveau plus fatigué qu’il ne devrait. La moyenne de vos résultats correspond à quelqu’un d’un peu plus âgé que vous.

- De combien ?

- Vous avez le cerveau d’un homme de soixante ans.

J’en avais quarante-cinq.
En arrivant au test, je pensais en avoir toujours trente ou trente-cinq.
J’ai pris vingt-cinq ans d’un coup.

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Genève. Juin 2008.

4 commentaires:

  1. ... et dire que le Dr G te conseillait de prendre de l'aspirine pour les maux de tête, du magnésium pour la mémoire et du ginseng pour les coups de pompe...

    Sacré Diafoirus!

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  2. Ah, le Docteur G.! On a sans doute pas fini d'entre parler de lui! ;)

    A propos, je n'avais pas trouvé de photo pour illustrer le présent article.

    J'ai rectifié.

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  3. Excellent choix de photo, comme d'habitude!

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